16.5.12

L'éducation nationale de Ferry et les droits de l'homme

Lu sur wikipedia à la rubrique "Ferry" cet extrait d'une circulaire du ministre Jules Ferry à "monsieur l'instituteur" (instituteur signifie : éducateur) du 17 novembre 1883 :

« La loi du 28 mars se caractérise par deux dispositions qui se complètent sans se contredire : d'une part, elle met en dehors du programme obligatoire l'enseignement de tout dogme particulier ; d'autre part, elle y place au premier rang l'enseignement moral et civique. L'instruction religieuse appartient aux familles et à l'Église, l'instruction morale à l'école. Le législateur n'a donc pas entendu faire une œuvre purement négative. Sans doute il a eu pour premier objet de séparer l'école de l'Église, d'assurer la liberté de conscience et des maîtres et des élèves, de distinguer enfin deux domaines trop longtemps confondus : celui des croyances, qui sont personnelles, libres et variables, et celui des connaissances, qui sont communes et indispensables à tous, de l'aveu de tous. Mais il y a autre chose dans la loi du 28 mars : elle affirme la volonté de fonder chez nous une éducation nationale, et de la fonder sur des notions du devoir et du droit que le législateur n'hésite pas à inscrire au nombre des premières vérités que nul ne peut ignorer. Pour cette partie capitale de l'éducation, c'est sur vous, Monsieur, que les pouvoirs publics ont compté. En vous dispensant de l'enseignement religieux, on n'a pas songé à vous décharger de l'enseignement moral : c'eût été vous enlever ce qui fait la dignité de votre profession. Au contraire, il a paru tout naturel que l'instituteur, en même temps qu'il apprend aux enfants à lire et à écrire, leur enseigne aussi ces règles élémentaires de la vie morale qui ne sont pas moins universellement acceptées que celles du langage ou du calcul. [...] »

Jules Ferry dans son texte utilise des vérités abusivement. Il est vrai que le droit et le devoir sont inscrits dans le cœur de tout homme. A ce titre l'Etat peut et doit l'enseigner, par exemple par ses tribunaux, dans son gouvernement, dans ses lois et par ses magistrats. Il peut contraindre les récalcitrants, ceux qui ne veulent pas voir que le droit est fondé sur "Ne faites pas aux autres, ce que vous ne voudriez pas qu'ils vous fassent" ou plutôt "faites aux autres ce que vous voudriez qu'ils vous fassent", selon l'enseignement de Jésus-Christ. 

En revanche, le domaine de la foi est un domaine où les vérités ne peuvent être vues par la raison. Elle n'est pas universelle, l'humanité est divisée de croyances. Elle ne s'impose donc pas par contrainte. Personne n'a de titre à imposer sa foi, il peut en revanche la proposer et ce droit personne ne peut le lui contester. C'est un droit de l'homme de professer sa foi, y compris dans la sphère publique.

Les parents, personnes et à ce titre d'une dignité très éminente, qui, seuls, et sans personne d'autre, mettent les enfants au monde, ont un droit-devoir particulier sur leur progéniture jusqu'à leur majorité. Ce droit-devoir d'éducation comporte celui d'éduquer leurs enfants à leur foi, dans la mesure où celle-ci n'a rien de contraire au principe fondamental de la morale vu plus haut. 

L'Eglise est la seule autorité religieuse publique au monde. Son enseignement, qui est public, n'a rien de contraire à la raison, à la morale et au droit naturel. En conséquence, personne, pas même l'Etat, n'a de titre à entraver sa liberté.

En matière d'éducation des enfants, il n'existe donc qu'une autorité publique, l'Eglise et qu'une autorité privée, les parents de chacun des enfants. L'Etat n'a de titre à intervenir que subsidiairement, si par exemple les parents sont incapables d'accomplir correctement leur tâche, si les hommes d'Eglise violent leurs devoirs (cas malheureux de pédophilie, par exemple) ou abusent de leurs droits.

Si l'Etat intervient en créant une "Education nationale", il perturbe l'ordre voulu par Dieu, il intervient dans un domaine où il n'a aucun titre à intervenir et viole les droits des parents et de l'Eglise. Ainsi, déduire de l'universalité de la loi morale qui s'impose à l'Etat que l'Etat doit enseigner dans son domaine, que l'Etat a un droit d'enseignement envers les enfants, c'est inverser la perspective et faire de l'exception, la règle. La subsidiarité de l'Etat est niée au profit d'un droit-devoir de l'Etat d'enseigner, sous prétexte de l'universalité de la loi morale. Mais cette universalité comme dirait monsieur de La Palice entraîne une application universelle. Elle s'impose donc à l'Etat et lui commande de respecter les droits directement conférés aux parents par la nature et à l'Eglise par la raison. Elle lui commande aussi de limiter ses interventions aux strictes nécessités. Ces nécessités ne lui ouvrent la possibilité d'intervention qu'en cas de défaillance des autorités instituées par la nature ou par la raison.

Les sophismes de Jules Ferry étaient donc très subtils. Ils mêlaient habillement des principes vrais pour leur faire avoir des conséquences indues, avec des vérités justement énoncées. Par l'omission subreptice des parents et de l'Eglise en matière d'éducation, ce discours, en définitive, est profondément injuste. Il est d'ailleurs contraire à un texte qui ne sera promulgué que près de 65 ans plus tard : la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 en son article 26.3, selon laquelle les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants.

Je laisse à mes lecteurs de décider si Jules Ferry était un roublard, ou un homme sincère en proie à des erreurs involontaires ? On comprend en tous cas que par son talent d'exposition, il ait pu tromper tant de monde.

Aucun commentaire: