La notion d'"ordre public" n'est pas univoque. Il un existe ordre public administratif, il existe un ordre public civil, il existe un ordre public enseigné par les papes.
Maître Pichon (lien vers un post du Salon beige), citant le Jurisclasseur pénal, à propos de la notion d'"attroupement" illicite rapporte ce que certains juristes entendent par "ordre public" dans le sens de l'expression "trouble à l'ordre public" contenue dans le droit administratif et reprise par le droit pénal :
« Le risque de trouble de l'ordre public constitue donc le fondement des textes réprimant l'attroupement. La notion d’ordre public « repose sur une trilogie traditionnelle (: la sécurité publique, la tranquillité publique et la salubrité publique (V. notamment R. Chapus, Droit administratif général, t. 1 : LGDJ /Montchrestien, 2001, 15e éd., n° 905. – V. Tchen, Police administrative, théorie générale : J.-Cl. Administratif, Fasc. 200, n° 29 et s.) ».
Ainsi ces en droit administratif et en droit pénal la notion d'"ordre public" se réduirait à une "trilogie traditionnelle" de niveau médiocre. En effet, cette trilogie ne concerne que des effets matériels. C'est cette notion d'"ordre public" qui est répandue dans la population. L'homme de la rue pense que l'ordre public, c'est que sa rue soit sûre, tranquille et propre. C'est que l'ordre règne sur la voie publique. C'est aussi la vision positiviste de l'ordre public. Le positivisme ne veut voir dans la loi qu'une expression arbitraire de la "volonté générale". Or la "volonté générale", c'est certainement que la rue soit sûre, tranquille et propre. Dès lors peu importe que des lois soient contraires à la raison dès lors que la rue reste agréable. C'est sans doute la notion qu'en ont les agents des forces de l'ordre et la plupart des magistrats français. (Je ne le leur reproche pas, j'ai longtemps cru cela quoique j'aie toujours senti en moi une insatisfaction en réfléchissant à cette notion et en la comparant avec l'ordre public du code civil.)
Ce faisant, sans même sans doute s'en apercevoir, ils déconstruisent la notion d'"ordre public".
Ce faisant, sans même sans doute s'en apercevoir, ils déconstruisent la notion d'"ordre public".
Un premier indice de ce que cette notion est réduite à presque rien alors qu'elle est au centre de l'ordre juridique, c'est la notion d'ordre public en matière de droit civil. Vu sous l'angle matériel, l'ordre public civil, c'est ce que la loi impose absolument aux agents civils. En matière de contrat par exemple on ne peut "déroger à l'ordre public" (article 6 du code civil). Les dispositions d'"ordre public" ont des effets normalement absolus et le juge doit soulever d'office les moyens d'ordre public, même s'ils ne sont pas invoqués par les partis. Selon l'esprit de la loi cependant, il faut garder à l'esprit que nul ne devrait enfreindre l'ordre public. Dans une société bien ordonnée, le juge n'aurait pas à intervenir. Les simples citoyens respecteraient spontanément l'ordre public. Le juge n'intervient que dans le cas d'une anomalie. La loi a un rôle d'explicitation de principes et un rôle éducatif.
L'"ordre public" dans une vision positiviste ou marxiste sera arbitraire, il dépendra de la pure "volonté générale" comme semble le décider la malheureuse "Déclaration des droits de l'homme" du 26 août 1789 (article 6). La volonté générale est justifiée par le seul fait qu'elle est la volonté de la majorité.
Cette notion rousseauiste, marxiste ou positiviste est condamnée par la "Déclaration universelle des droits de l'homme" du 10 décembre 1948, qui, selon moi, institue un ordre public rationnel s'imposant à tous, y compris aux majorités qui leur serait éventuellement opposées.
« Considérant que dans la Charte les peuples des Nations Unies ont proclamé à nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité des droits des hommes et des femmes, et qu'ils se sont déclarés résolus à favoriser le progrès social et à instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande. »
Le mot "foi" doit sans doute être pris dans le sens d'affirmation ardente, d'engagement irrévocable, plus que dans l'acception d'adhésion, même raisonnable, à une vérité que la raison ne peut saisir. En effet, les droits fondamentaux de l'homme ne sont pas l'objet de foi, mais l'aboutissement d'un processus rationnel. L'homme capable de raison, donc de vérité, est doté d'un esprit. De ce fait, il est évident qu'il est doté d'une destinée non réductible au monde présent. Il est donc digne, il n'est jamais de l'ordre de l'utile. Il est un but en soi. Il ne fait donc pas partie des sociétés humaine pour en être un rouage, une pièce d'un mécanisme, au contraire il est toujours un but. Il est doté d'une dignité inamissible (sens de "inamissible" : qui ne peut, en aucune circonstance, [lui] être ôtée) parce qu'il n'est pas destiné à ce monde.
Il ne faudrait d'ailleurs pas en conclure que l'ordre public n'aurait jamais de caractère contingent et ne dépendrait jamais de la "volonté générale". L'ordre public des droits de l'homme est absolu, il ne dépend en rien de la volonté bien ordonnée des hommes, mais l'ordre public national peut être contingent et dépendre de la volonté générale fondée sur une donnée culturelle propre à la communauté qui promulgue la loi. Il y a donc un ordre public qui varie dans l'espace et dans le temps dès lors qu'il concerne les droits contingents de la communauté nationale et des individus.
Il ne faudrait d'ailleurs pas en conclure que l'ordre public n'aurait jamais de caractère contingent et ne dépendrait jamais de la "volonté générale". L'ordre public des droits de l'homme est absolu, il ne dépend en rien de la volonté bien ordonnée des hommes, mais l'ordre public national peut être contingent et dépendre de la volonté générale fondée sur une donnée culturelle propre à la communauté qui promulgue la loi. Il y a donc un ordre public qui varie dans l'espace et dans le temps dès lors qu'il concerne les droits contingents de la communauté nationale et des individus.
Dans cette perspective, l'ordre public n'est certainement pas réduit à la sûreté, à la tranquillité et à la propreté de la voie publique. Cette sûreté, cette tranquillité et cette propreté seront dès lors, plus des effets de l'ordre public que sa définition. C'est le sens que l'on retrouve, sans qu'il soit exprimé, dans le code civil. (à suivre)
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