Le mystère chrétien ne se laisse pas facilement cerner. Il nous faut la foi.
Cependant, mon maître de stage (lorsque j'étais avocat stagiaire), fermait son cabinet le Vendredi Saint, parce que c'était le jour où l'on commémorait la plus grande erreur judiciaire de l'Histoire.
Caïphe était-il de bonne foi ? Certes non ! Avait-il conscience de ce qu'il faisait ? Certes non ! Certains, parmi les juges qui ont condamné Jésus à mort étaient peut-être de bonne foi (dans le sens où ils cherchaient à éclairer leur conscience sans grande ardeur, le respect humain, la trouille…) ou peut-être aveuglés par l'utilitarisme qui ne voit pas la dignité de l'homme. Ils ne s'embarrassaient pas du sort d'un type dont on leur avait dit qu'il fallait le "liquider".
Saint Paul le dit, d'ailleurs, s'ils avaient eu conscience de ce qu'ils faisaient, ils s'y seraient refusé absolument. Saint Paul, le Pharisien fier de l'être, se souvenait de sa propre mentalité avant sa conversion.
C'est pourquoi plutôt qu'un crime pervers, c'est une erreur judiciaire que l'on commémore aujourd'hui.
Cette erreur judiciaire aurait-elle pu ne pas avoir lieu ?
C'est ce que semble dire l'histoire de la fille de Jephté, du moins en ce sens, que les fautes contre l'homme, causes secondes de la mort du Christ, auraient pu (dû) ne pas être. Le Grand-Prêtre aurait sacrifié le Christ avec des larmes et non avec indifférence et cruauté.
Jephté, général hébreu victorieux, avait fait le vœux de sacrifier le premier qu'il rencontrerait sur le chemin, au retour de sa victoire… Ce fut sa fille unique qu'il rencontra la première... Elle venait au devant de lui pour se réjouir avec ses amies, en jouant de la musique, de la victoire de son père. Horreur !
« Jg 10,35. Jephté, l'ayant vue, déchira ses vêtements, et dit: Ah! malheureux que je suis! ma fille, vous m'avez trompé, et vous êtes trompée vous-même; car j'ai fait un voeu au Seigneur, et je ne puis faire autre chose que ce que j'ai promis.
Jg 10,36. Sa fille lui répondit: Mon père, si vous avez fait voeu au Seigneur, faites de moi tout ce que vous avez promis, Dieu vous ayant accordé vengeance et victoire sur vos ennemis.
Jg 10,37. Et elle ajouta: Accordez-moi seulement cette requête: laissez-moi aller sur les montagnes pendant deux mois, afin que je pleure ma virginité avec mes compagnes.
Jg 10,38. Jephté lui répondit: Allez; et il la laissa libre pendant ces deux mois. Elle alla donc avec ses compagnes et ses amies, et elle pleurait sa virginité sur les montagnes.
Jg 10,39. Les deux mois écoulés, elle revint auprès de son père, et il accomplit ce qu'il avait voué à l'égard de sa fille; or elle n'avait pas connu d'homme. De là vint la coutume, qui s'est toujours depuis observée en Israël,
Jg 10,40. que toutes les jeunes filles d'Israël s'assemblent une fois l'année, pour pleurer la fille de Jephté de Galaad pendant quatre jours. »
Du site
magnificat.
Pleurer sa virginité, c'est-à-dire, pleurer le fait de mourir sans avoir d'enfant.
Selon dom de Monléon, mystiquement, la fille de Jephté représenterait le Christ et Jephté lui-même, le Grand-Prêtre. Le drame de la fille de Jephté serait une préfiguration du drame du Golgotha… ou de ce qu'il aurait pu être, sans l'aveuglement de Caïphe et de ses partisans au sein de Sanhédrin.
Jephté, bouleversé, sacrifia sa fille bienaimée, malgré lui (1). Lui aussi, commit une erreur morale, puisque la loi de Moïse interdisait les sacrifices humains. Il n'aurait dû, en aucun cas, exécuter son vœux. Donc l'épisode de la fille de Jephté n'est pas tout à fait représentatif de ce qui aurait pu se passer sans l'erreur de Caïphe et de ses partisans… qui reste un profond mystère. Ce mystère de foi, cependant, sans lequel la raison reste impuissante devant l'obscurité de la destinée de l'homme.
(Il faut aussi accorder cette histoire de Jephté avec la mentalité du temps : plus de 1 000 ans avant Jésus-Christ).
(1) Moi qui ai vu ma fille bienaimée, morte, dans son cercueil, je peux comprendre, ce qu'a ressenti Jephté.