12.11.11

La dénaturation des "Exercices spirituels" par le P. Vallet

Dans ses maximes La Rochefoucault écrit "Les vertus se perdent dans l'intérêt, comme les fleuves dans la mer." C'est une vision radicalement pessimiste de l'être humain et une application de ce qu'a décelé Maritain dans l'idéalisme : "le culte des antinomies". Pour La Rochefoucault, la vertu s'oppose à l'intérêt et l'exclut. Alors que en réalité, une véritable vertu ne nie en rien l'intérêt de celui qui agit. L'homme vertueux agit pour le bien commun, qui est aussi son bien, il n'y a pas antinomie.

Dans son "Du contrat social" Rousseau expose une idée voisine et postule que l'homme n'agit que pour son utilité égoïste et que ce faisant, il fait bien et il fait le bien.

"La famille est donc, si l’on veut, le premier modèle des sociétés politiques : le chef est l’image du père, le peuple est l’image des enfants ; et tous, étant nés égaux et libres, n’aliènent leur liberté que pour leur utilité. Toute la différence est que, dans la famille, l’amour du père pour ses enfants le paye des soins qu’il leur rend ; et que, dans l’État, le plaisir de commander supplée à cet amour que le chef n’a pas pour ses peuples."

La liberté absolue, sans référence à une quelconque vérité autre que l'utilité, serait le bien de l'homme. Selon Rousseau, l'homme n'aliène sa liberté qu'en vue de son utilité personnelle. L'amour du père pour ses enfants devient alors curieusement une récompense des soins qu'il rend à ses propres enfants (et non une conséquence de l'amour gratuit). L'amour devient alors utile au père, ce qui le légitime (!!!). En matière politique, toujours selon Rousseau, le plaisir de commander semble bien exclure l'amour des sujets du commandement. Et c'est encore le plaisir égoïste qui est le lien du chef avec ses semblables.

En conséquence des ces doctrines monstrueuses, l'homme ne peut qu'être un sujet utile à l'homme, sa dignité est niée. (La dignité s'oppose à l'utilité en ce qu'un sujet digne n'est jamais un moyen, mais toujours une fin. La nature spirituelle de l'homme et le fait qu'il est créé à l'image de Dieu est niée au moins implicitement.)

Quand il y a une éclipse, tout le monde est à l'ombre. Ne se pourrait-il pas que ce genre de doctrine aient pollué jusqu'à la prédication des Exercices de saint Ignace en cinq jours selon la méthode du T.R.P. Vallet ?

Voici les "principes et fondement", qui font l'objet d'une méditation particulière dans la fameuse "méthode" :


Principe et fondement

"23 L'homme est créé pour louer, honorer et servir Dieu, notre Seigneur, et, par ce moyen, sauver son âme. Et les autres choses qui sont sur la terre sont créées à cause de l'homme et pour l'aider dans la poursuite de la fin que Dieu lui a marquée en le créant. D'où il suit qu'il doit en faire usage autant qu'elles le conduisent vers sa fin, et qu'il doit s'en dégager autant qu'elles l'en détournent. Pour cela, il est nécessaire de nous rendre indifférents à l'égard de tous les objets créés, en tout ce qui est laissé au choix de notre libre arbitre et ne lui est pas défendu; en sorte que, de notre côté, nous ne voulions pas plus la santé que la maladie, les richesses que la pauvreté, l'honneur que le mépris, une longue vie qu'une vie courte, et ainsi de tout le reste; désirant et choisissant uniquement ce qui nous conduit plus sûrement à la fin pour laquelle nous sommes créés."


Si l'on est habitué aux raisonnements du type idéaliste, on peut facilement tirer de ce texte que les autres hommes sont créés pour êtres utiles au retraitant en vue de la seule chose qui compte (avant même l'amour de Dieu et du prochain) : le salut.

C'est d'ailleurs comme cela que je les ai compris pendant longtemps et, pour cela intuitivement rejetés. Il a fallu que je puisse lire les textes des papes pour m'apercevoir que cette interprétation était fausse (notamment après avoir lu "Spe salvi"). L'homme est un concept collectif désignant tous les hommes. Dans ce texte de saint Ignace, les hommes ne sont pas des "créatures" utiles, c'est tout ce qui est créé, sauf "l'homme" seul sujet, qui est utile etc.

J'ai déjà dit également sur ce blog, que les exercices étaient dénaturés car saint Ignace prévoit un secours "mutuel" entre le  retraitant et celui qui donne les exercices. Or dans la réalité des retraites de cinq jours un seul aide et l'autre reçoit l'aide. J'ai été étonné d'entendre un  jour un prêtre me dire, si mes souvenirs sont bons, mais je crois qu'il le sont, que ma confession (comme celle des autres pénitents) lui procuraient des enseignements et un secours. Et cette remarque charitable est tellement vraie !

(22e annotation : "Afin que celui qui donne les exercices et celui qui les reçoit se prêtent un mutuel secours")

Conseil strictement personnel : gardez-vous de faire ces retraites en cinq jours qui font plus de mal que de bien (car leurs partisans sont souvent scandaleux). Vous risqueriez de vous y voir prêché un rousseauisme spirituel.  Ce rousseauisme, d'autant plus dangereux qu'il est inconscient, est négateur du caractère sacré de l'homme. Cette tendance rousseauiste  explique sans doute la forte opposition que ce genre de retraite rencontre dans les milieux catholiques. Car l'intuition (§ 68, 69 et 96) du peuple, le sensus fidei du peuple est une preuve de la licéité d'un refus de ces retraites.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Comment comprendre la relation entre "louer, honorer et servir Dieu notre Seigneur" et "sauver son âme" ? Le texte semble introduire une finalité dans laquelle le bien de la créature (son salut) lui fait utiliser la louange, l'honneur et le service de Dieu comme moyen, ce qui me semble choquant, comme si l'homme était à lui-même sa fin, alors qu'il est bien évident qu'il n'est pas lui-même son origine. Que veut dire saint Ignace ?

Unknown a dit…

Je suis d'accord avec vous. C'est pourquoi les Exercices de saint Ignace, au moins selon la méthode du T.R.P. Vallet, ont souvent de mauvais résultats, parfois des résultats catastrophiques.

On peut toujours se casser la tête pour savoir ce qu'a voulu vraiment saint Ignace. Le mieux serait de demander aux jésuites qui, eux, sont les gardiens des exercices. J'avoue que je n'ai jamais fait les exercices avec les jésuites. Je suis assez désabusé sur la valeur des enseignements du clergé (qu'iil soit traditionaliste ou "progressiste"), clergé que je respecte par ailleurs. Le mieux est de se renseigner soi-même ou de trouver des prêtres qui s'y connaissent dès que l'on a un problème juridique ou moral un peu "pointu". Dans mon diocèse par exemple aucun prêtre n'a fait d'études particulières sur les droits de l'homme... Pour être juste de nombreux prêtres m'ont beaucoup aidé sur toutes sortes de questions. D'autres fois des conseils étaient manifestement faux...

Unknown a dit…

"Manifestement", c'est très bien, le pire c'est lorsqu'ils sont faux, mais qu'on ne s'en aperçoit pas immédiatement, mais à l'usage.

Cela dit bien des fois en confession des prêtres m'ont rendu de signalés services par leurs conseils.