17.6.09

Empalement d'un Serbe

Empalement turc

Extrait de : « UN PONT SUR LA DRINA » de Ivo Andric Prix Nobel 1961 de Littérature


"Alors Merdjan rejeta le maillet et s'approcha. Il examina le corps immobile, contournant le sang qui tombait goutte à goutte des endroits par lesquels le pieu était entré et sorti, et qui s'accumulait en petites flaques sur les planches. Les deux Tziganes retournèrent le corps engourdi sur le dos, et se mirent à lui lier les jambes au bas du pieu. Pendant ce temps, Merdjan regardait si l'homme était toujours vivant, et examinait attentivement ce visage qui devint tout d'un coup boursouflé, plus large et plus grand. Les yeux étaient grands ouverts et inquiets, mais les paupières restaient immobiles, la bouche était béante, les deux lèvres raides et contractées, les dents blanches serrées. L'homme ne pouvait plus contrôler certains muscles de son visage ; c'est pourquoi sa face ressemblait à un masque. Mais son cœur battait sourdement, et ses poumons avaient un souffle court et accéléré.

Les deux Tziganes se mirent à le dresser comme un mouton sur une broche. Merdjan leur criait de faire attention, et de ne pas secouer le corps, et lui-même aidait l'opération. Ils fixèrent la partie inférieure du pieu épaisse entre deux poutres, et bloquèrent le tout avec de grands clous, puis, derrière, à la même hauteur, ils consolidèrent l'ensemble avec un morceau de bois court qu'ils clouèrent aussi contre le pieu et contre les poutres des échafaudages.

Quand leur besogne fut terminée, les Tziganes se reculèrent un peu plus loin, et se joignirent aux gendarmes. Et, sur cet espace vide, resta seul, élevé à hauteur d'homme, redressé, la poitrine en avant et nu jusqu'à la ceinture, l'homme sur le pieu.

De loin on entrevoyait que, à travers son corps passait le pieu auquel étaient attachées ses chevilles, tandis que ses bras étaient liés derrière le dos. C'est pourquoi il semblait au peuple une statue planant dans l'air, au bord même des échafaudages, tout en haut, au dessus de la rivière.

Un murmure passa sur les deux rives, et une agitation ondoyante traversa la foule. Les uns baissèrent le regard, et les autres se dirigèrent rapidement chez eux, sans retourner la tête. La plupart regardaient sans mot dire cette silhouette humaine exposée dans l'espace, anormalement raide et droite. L'épouvante leur glaçait les viscères, leurs jambes se dérobaient sous eux, mais ils ne pouvaient ni s'arracher à ce spectacle, ni en détourner le regard.

C'est le lendemain soir, après 48 heures de ce supplice turc raffiné, que le paysan serbe Radislav rend l'âme. Le bourreau tzigane Merdjan va alors rendre compte de la bonne exécution du travail à celui qui l'avait ordonné, le turc Abidaga, et il lui demande ce qu'il doit faire du cadavre : « Jette le chien aux chiens ! »

Extrait de : « UN PONT SUR LA DRINA » de Ivo Andric Prix Nobel 1961 de Littérature

Mis en ligne par juristes cahto http://juristes.catho.free.fr/2opinions.html

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