18.11.11

Essai sur "De même nature" ou "de la même substance" ?

Monsieur Madiran critique dans un article publié sur le "Forum catholique" et extrait de "Présent" le missel des dimanches annuel de l'épiscopat  Il cite un passage de ce missel commentant le libellé actuel du "Crédo" qui élimine le terme de "substance" au profit du terme de "nature" pour faire approcher le type d'être de la Trinité :


« Le terme “consubstantiel” : c’est pour décrire [sic] la relation unique du Père et du Fils que ce terme a été introduit dans le Credo par le concile de Nicée en 325, ce qui n’empêche pas qu’il doive [sic] être “traduit” aujourd’hui, le sens du terme “substance” n’étant plus le même. » 


Explicitons les critiques sémantiques et syntaxiques dont je pense qu'elles sont exprimées par les "[sic]" ajoutés au texte par monsieur Madiran :

1) "Décrire ne semble pas approprié car il est impossible de "décrire" Dieu. L'auteur aurait pu écrire plus justement "exprimer", voilà pour la sémantique. 2) Pour la syntaxe empêcher ayant un sens négatif, s'il est lui-même employé négativement, il semble qu'il faut l'indicatif et non le subjonctif: Voilà pour la syntaxe.

Cela dit revenons à la substance de la controverse. La substance (Selon le Trésor de la langue française) est ce qui répond à la question : quelle est cette chose qui existe ? La substance c'est ce qui reste quand ce qui est dit ne fait pas partie des attributs, mais en y ajoutant que l'objet envisagé existe. Les attributs d'un être existant sont contingents,  la substance est immuable. La substance est aussi un être qui existe, à la différence de la "nature" qui reste un mot abstrait contenu dans la définition, mais abstrait de la notion d'existence.

Monsieur Madiran fait observer que dire qu'un fils est "de même nature" que son père n'exprime rien de ce qui est spécial à la filiation divine du Fils par rapport au Père. Dire que le Fils est de même nature que le Père ne serait qu'une banalité. Tous les fils sont de même nature que leur père. Mais ils sont tous deux de substances différentes  parce qu'il n'ont pas la même existence. Dire que Jésus-Christ est de même nature que le Père pourrait signifier qu'il est un Dieu à côté d'un autre Dieu dont il serait le "fils" mais que leur existence ne se confondraient pas. Cependant, comme l'on vient d'affirmer, au début du "Credo", que l'on croit "en un seul Dieu", on peut se rassurer en disant que le danger est écarté de dire qu'il y a deux Dieu. Le risque reste toutefois de ne pas assez dire en disant "nature", car l'affirmation de "même nature" peut paraître discuter ce qui vient d'être affirmé ("Je crois en un seul Dieu") alors que "consubstantiel" exprime quelque chose de précis : le Père est Dieu, le Fils est Dieu et le Saint Esprit est Dieu et il n'y a qu'un seul Dieu existant d'une seule existence mais différent dans les trois personnes. C'est un mystère incompréhensible, ils sont Un dans la substance et trois dans les personnes. Le crédo de Nicée dit que Jésus-Christ est "un seul Dieu", comme le Père est "Un seul Dieu", comme le Saint-Esprit" est un  seul Dieu et pourtant ils sont distincts dans les personnes.

Monsieur Madiran cite encore la rédactrice du commentaire du "Crédo" niant que le mot "substance" ait le même sens que le "substance" du temps de Nicée :

« Le terme “consubstantiel” : c’est pour décrire [sic] la relation unique du Père et du Fils que ce terme a été introduit dans le Credo par le concile de Nicée en 325, ce qui n’empêche pas qu’il doive [sic] être “traduit” aujourd’hui, le sens du terme “substance” n’étant plus le même. »   

Monsieur Madiran conteste que le "changement de sens" ait eu lieu et, de fait, le "Trésor de la langue française informatisé" donne ce sens scolastique, moyenageu.

Jean-Paul II lui-même, dans "Fides et ratio" emploie le terme de "substance spirituelle" en un sens philosophique (ce que l'objet existant est) et non dans le sens courant (sens qui est "ce qui est essentiel")

Partout où l'homme constate un appel à l'absolu et à la transcendance, il lui est donné d'entrevoir la dimension métaphysique du réel: dans le vrai, dans le beau, dans les valeurs morales, dans la personne d'autrui, dans l'être même, en Dieu. Un grand défi qui se présente à nous au terme de ce millénaire est celui de savoir accomplir le passage, aussi nécessaire qu'urgent, du phénomène au fondement. Il n'est pas possible de s'arrêter à la seule expérience; même quand celle-ci exprime et rend manifeste l'intériorité de l'homme et sa spiritualité, il faut que la réflexion spéculative atteigne la substance spirituelle et le fondement sur lesquels elle repose. Une pensée philosophique qui refuserait toute ouverture métaphysique serait donc radicalement inadéquate pour remplir une fonction de médiation dans l'intelligence de la Révélation.


Dans l'encyclique de Jean-Paul II, le sens de "substance spirituelle" est bien le sens scolastique et non le sens courant. Le terme complexe de "substance spirituelle" est employé au sens scolastique de "ce qui a son existence propre" (Trésor de la langue française informatisé v° "substance"). Dès lors que le terme de "substance" est encore employé en ce sens chez Jean-Paul II, on ne peut dire que son "sens [n'est] plus le même". Jean-Paul II dit d'ailleurs dans le même passage qu'une philosophie qui refuserait "toute ouverture métaphysique" ne pourrait être employée pour servir de "médiation dans l'intelligence de la Révélation." Ce qui condamne l'usage d'une philosophie récusant le terme de substance tel qu'il est employé par le Credo de Nicée. Même si ce terme est supprimé depuis cinquante ans (selon monsieur Madiran), en réalité sous l'influence de cette philosophie et sous prétexte que le sens du mot aurait changé jusqu'à le rendre incompréhensible ou susceptible de causer des erreurs.

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