19.6.11

Principe de totalité versus droits de l'homme

La polémique se perpétue entre les lefebvristes et les catholiques au sujet du bien commun et des droits de l'homme.

Les lefebvristes disent : l'homme fait partie de la société, or la société est un ensemble d'hommes. Elle est un tout dont l'homme est une partie. Le principe de totalité (qui est un principe de logique et de métaphysique) dit que la partie est pour le tout et non pour le tout pour la partie. Donc l'homme est pour la société et non la société pour l'homme.

Objection : les papes disent le contraire, mais connaissent et approuvent le principe de totalité.

Sans doute pourrait-on trouver la solution à cette apparente contradiction des papes en réfléchissant bien à ce qu'est le bien commun qui est le but de toute société.

Gaudium et spes donne une définition du bien commun :

"le bien commun, c’est-à-dire cet ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée" (Gaudium et spes 26.1)

Le bien commun est un "ensemble de conditions". Ce seul terme indique que le bien commun n'est pas un but en soi, mais un but au service d'un autre but. Une condition favorable, c'est ce qui permet d'atteindre un but. Le but, c'est la perfection de l'homme dont la société ne peut fournir que des conditions favorables et non fournir le but en soi. Ce but en soi (atteindre la perfection de son être, selon le mot d'ordre de Jésus "soyez parfaits" Mt, 5,48) relève de la liberté de l'homme qui est maître de son destin.

C'est pourquoi la société est au service de l'homme et non l'homme au service de la société. Il faut chasser, bien sûr, l'image qui nous ferait voir chacun vivant comme un parasite, chacun vivant comme un pacha dont les autres hommes sont au service. En justice (égalité des prestations) nous devons tous et chacun participer, selon nos moyens, au bien commun. Nous devons nous aussi nous mettre au service de la société dans la mesure et dans la limite de notre vocation personnelle et transcendante. La vie spirituelle de l'homme est en définitive individuelle et la société ne peut qu'aider son développement par la recherche de bonnes conditions ; Mais Dieu libre et le sujet libre en sont les seuls maîtres, à l'exclusion des autres hommes.

Certes, nous pouvons même sacrifier notre vie pour que nos semblables aient des conditions de vie meilleures, par amour pour eux, mais ce n'est pas malgré notre vocation transcendante, mais en raison de notre vocation transcendante. Nous ne renonçons pas à notre vocation transcendante, nous la réalisons dans ce sacrifice.

C'est pourquoi, ce n'est pas en raison du principe de totalité que l'homme se sacrifie au delà de la justice (hors le cas du militaire qui a fait don de sa vie par promesse) pour l'homme, mais par amour, par accomplissement de sa vocation transcendante (transcendante = qui est d'un autre ordre, qui est d'un ordre supérieur). Le sacrifice d'amour du Christ est à cet égard particulièrement exemplaire. Le Christ que nous devons suivre ne se sacrifie pas en raison du principe de totalité, mais par pur et simple amour :

"604 En livrant son Fils pour nos péchés, Dieu manifeste que son dessein sur nous est un dessein d’amour bienveillant qui précède tout mérite de notre part : " En ceci consiste l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime de propitiation pour nos péchés " (1 Jn 4, 10 ; cf. 4, 19). " La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous " (Rm 5, 8)." (Catéchisme de l'Église catholique)

C'est pourquoi, nous devons écarter une application absolue, ou plutôt écarter absolument ce principe, lorsque nous envisageons la société humaine dans ses rapports avec l'individu humain, car la vocation individuelle de l'homme est première et dernière par rapport à la société politique, car elle transcende la simple fourniture des seules conditions d'une vie morale meilleure à ses semblables. Les deux réalités envisagées sont de deux ordres différents : l'un est de l'ordre de la condition, l'autre de l'ordre du but ultime. Le principe de totalité ne peut, dans la société humaine, que recevoir une application relative et proportionnée à la vocation transcendante de l'homme. En revanche, l'amour, qui n'est pas facultatif, peut nous demander plus pour nos semblables, mais toujours de façon proportionnée au but à atteindre.
C'est pourquoi le respect des droits fondamentaux de l'homme fait partie du bien commun et je dois considérer ce respect comme un élément du bien commun, une condition nécessaire au but qui est la perfection de l'homme. (En conséquence, le texte de De Koninck sur le bien commun me semble erroné, au moins en partie et dans sa conclusion principale).

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