2.12.16

2 décembre 1903 lettre de saint Pie X à Émile Loubet

Sur le Salon beige on lit que le 2 décembre 1903 saint Pie X adressa une lettre au président de la République française, Émile Loubet. Selon le Salon beige, Émile Loubet ne répondit rien à la lettre de saint Pie X.

Hé bien non ! J'ai découvert sur le net la réponse de Loubet.

Voici donc les deux textes (lettre de saint Pie X du 2 décembre 1903 et réponse du 27 février 1904 de Loubet) trouvées sur ce site.



Lettre de Sa Sainteté Pie X a M. Loubet,
President de la République française.
2 décembre 1903. 

Depuis le jour ou la divine Providence a voulu nous élever au Souverain Pontifical, la situation douloureuse faite a I'Église catholique en France n'a point cessé de Nous préoccuper vivement. Nous voyons avec amertume que cette situation tend a s'aggraver chaque jour davantage; et c'est pourquoi Nous considérons comme un devoir impérieux de Notre ministère apostolique d'appeler sur ce point 1'attention du premier Magistrat de la République.
Notre Prédécesseur Léon XIII de sainte et glorieuse mémoire, dans sa sollicitude et sa bienveillance particulière pour la noble Nation française, tacha autant qu'il lui fut possible de conjurer la loi centre les Congrégations religieuses, en démontrant combien elle était contraire aux règles de 1'équité et de la justice, et en signalant les conséquences funestes qu'elle produirait non moins pour I'Eglise que pour la France. Malheureusement, ni la parole si autorisée de 1'Auguste Pontife, ni rsidence des considérations qu'il faisait valoir ne purent rien; bien plus, le Gouvernement lui-même aggrava encore la loi dans 1'application qu'il en fit: il alla jusqu'a refuser d'examiner, nonobstant le vœux de la grande majorité des Conseils municipaux, les demandes d'autorisation que les Congrégations religieuses avaient présentées aux pouvoirs publics, en se conformant a toutes les dispositions de la loi. C'est ainsi que durant ces derniers mois, Nous avons dû assister avec une profonde douleur aux événements qui se déroulèrent en France, le pays classique de la liberté et de la générosité, et qui, dans toutes les nations, produisirent sur 1'opinion publique une impression de surprise et de tristesse. Des milliers de religieux et de religieuses, qui avaient hautement mérité de I'Église et de la France, qui ne sont coupables que de s'être dévoués a leur propre sanctification et au service de leur prochain en pratiquant les conseils évangéliques, ont été chassés de leurs pacifiques demeures, et réduits souvent a la plus dure misère; et puisque leur propre patrie leur enlevait le droit, que les lois garantissent a tous les citoyens, de se choisir le genre de vie a leur convenance, ils se sont vu contraints à chercher un asile et la liberté en des terres étrangères. 
Qu'on ajoute a cela les attaques répétées contre I'Église catholique et le Saint-Siège lui-même, malgré son attitude constamment et particulièrement pacifique et bienveillante a l'égard de la France et du Gouvernement de la République, les nombreuses suppressions de traitements, dus pourtant en justice aux évêques et aux curés, la vacance prolongée des sièges épiscopaux, et personne ne pourra contester que la situation présente de I'Eglise en France ne soit exceptionnellement triste et douloureuse.
Comme si ce n'était pas suffisant, on prépare maintenant contre I'Église d'autres mesures, tendant a priver du droit d'enseignement, à ses trois degrés, supérieur, secondaire et primaire, tout membre d'une Congrégation religieuse même autorisée. La singulière gravité d'une telle mesure n'échappe certainement pas, Monsieur le President, à votre profonde pénétration. En fait, la législation française reconnait expressément a tout citoyen le droit d'enseigner, sauf quelques dispositions pour s'assurer de la compétence des maitres et empêcher les abus possibles. Ceci posé, nous laissons a tout homme éclairé et impartial le soin de juger, si d'enlever un droit commun, sanctionné par les lois, a toute une classe de citoyens, soumis a toutes les charges, uniquement parce qu'ils sont religieux, ce n'est pas en même temps une offense a la religion, une injustice au détriment de ces citoyens, et une violation de ces principes de liberté et d'égalité qui sont a la base des constitutions modernes. Une exception pareille ne pourrait se justifier que s'il y avait une incompatibilité intrinsèque entre les vœux religieux et le ministère de 1'enseignement, ou si l'on avait constater des abus graves chez les religieux et religieuses voués a 1'enseignement. Mais sans apporter beaucoup d'autres considérations, contre ces griefs et en faveur des congréganistes, on peut invoquer, et 1'autorisation elle-même qui a été donnée par les Gouvernements successifs de la France, et la volonté des pères de famille qui en très grand nombre confient aux Instituts religieux 1'éducation de leurs enfants. 

Le vote du projet de loi qui vient d'être présenté a la Chambre des Députés entrainerait du même coup, avec la liquidation de leurs biens, la suppression des Congrégations religieuses qui n'ont d'autre but que 1'enseignement et 1'éducation de la jeunesse, et qui ont été autorisées pour ce seul objet. De cette façon, on aurait à peu près consommé en France la destruction de ces Instituts religieux qui, par la saine éducation de la jeunesse, fondement de toute société humaine, furent toujours un élément de patriotisme, de civilisation et de progrès. Et puisque c'est sur eux que reposaient principalement le prestige et 1'influence morale de la France a 1'extérieur, spécialement en Orient, la France viendrait a manquer de plus en plus des moyens nécessaires pour remplir dans le monde cette mission civilisatrice qui lui a été assignée par la Providence et pour laquelle elle a constamment obtenu 1'appui des Pontifes Romains. Le Saint-Siège, tenu par 1'ordre de Dieu même a pourvoir à la diffusion de 1'Evangile, se trouverait dans la nécessité de ne point s'opposer a ce que les vides produits dans les rangs des missionnaires français soient combles par des missionnaires d'autres nationalités. 
En voyant. cette longue série de mesures toujours plus hostiles a I'Église, il semblerait, Monsieur le President, qu'on veuille, comme certains le croient, préparer insensiblement le terrain pour en arriver non seulement a séparer complètement 1'État d'avec I'Église, mais, si c'est possible, a enlever a la France cette empreinte du christianisme qui a fait sa gloire dans les siècles passés. Vous ne pouvez Nous persuader que les hommes d'Etat qui gouvernent actuellement les destinées de la France nourrissent de tels projets, qui entraineraient fatalement a 1'intérieur la plus grave perturbation religieuse et a 1'extérieur une diminution du prestige et de 1'influence morale de la France.
Pour Nous, si par malheur de telles éventualités devaient se produire, certes Notre cœur, qui aime tendrement la Fille amitié 1'Eglise, en éprouverait une profonde douleur: mais,
en même temps, Nous devons 1'ajouter en toute franchise, Ic Saint-Siège, pousser ;V ITS rxtivmiti's, [passage incompréhensible dû à l'OCR] plein de confiance dans la vitalité de 1'Eglise en France, ne manquerait a rtuctin des devoirs que lui imposeraient et sa mission divine et la nature des circonstances, laissant à d'autres la responsabilité des conséquences qui pourraient en dériver.
Nous avons voulu, au début de Notre Pontificat, Monsieur le Président, vous ouvrir Notre cœur; Nous avons la confiance que vous-même, avec la noblesse de caractère, I'élévation de sentiments, le vif désir de pacification religieuse dont Nous vous savons sincèrement animé, vous voudrez faire valoir toute 1'influence qui vous vient de votre haute situation pour éloigner de 1'Église de nouveaux préjudices et épargner a la France de nouvelles agitations religieuses.
Dans le ferme espoir que Nos désirs seront réalises, grâce à votre intervention, Nous vous donnons de tout coeur a Vous, Monsieur le President, et a votre famille, la bénédiction apostolique. 


DOCUMENT XIII. 

M. Loubet. Président de la République française,
a Sa Sainteté Pie X.
Paris, le 27 février 1904. 

Très Saint-Père, 
Son Excellence Monseigneur le Nonce Apostolique m'a remis la lettre personnelle que Votre Sainteté m'a fait 1'honneur de m'écrire pour me signaler avec quelle appréhension Elle voit les pouvoirs publics saisis de projets relatifs aux Congrégations, à la liberté de 1'enseignement et aux pénalités applicables au clergé.
Votre Sainteté pense que les projets dont Elle examine les conséquences, s'ils étaient votés, semblent indiquer qu'ils tendent a réaliser la séparation complète de 1'Eglise et de 1'Etat. Elle croit qu'il s'ensuivrait une très grave perturbation religieuse a 1'intérieur et une diminution de 1'influence morale et du prestige de la France a 1'étranger. J'ai déjà eu I'honneur de répondre a Sa Sainteté Leon Xlll, il y a quelques années, que personne plus que moi ne désirait le maintien de la paix religieuse et la loyale exécution du Concordat qui régit les rapports de 1'Église et de 1'État ; j'ajoutais que je reconnaissais les efforts faits par
Sa Sainteté pour assurer la soumission du clergé de France aux lois du pays.
J'ai le très grand regret de constater qu'un certain nombre de membres du clergé et de congrégations, malgré les instructions pontificales, au lieu de se renfermer dans leur mission, se sont lancés dans les luttes politiques et ne craignent pas, même a 1'heure présente, de critiquer avec passion et violence le Gouvernement républicain et les lois du pays.
Quelle que soit 1'opinion personnelle du Président de la République sur ces questions, Votre Sainteté ne peut, en faisant appel a lui, perdre de vue le rôle qui lui est assigné par la Constitution Française.
Le Président doit se renfermer dans son irresponsabilité constitutionnelle en ce qui concerne les mesures gouvernementales, et s'abstenir de tout acte personnel. II ne peut qu'offrir ses conseils aux ministres, et j'ai conscience de ne pas avoir manqué a ce devoir. Quant aux lois et résolutions parlementaires, le Président n'y intervient que par les ministres, qui sont eux-mêmes obligés de compter avec les majorités des deux Chambres.
C'est avec la plus grande tristesse que j'ai vu récemment des archevêques et des évêques s'adresser par des lettres rendues publiques au Président, pour protester contre certains projets de loi, alors qu'ils ne peuvent ignorer quelle
est la loi constitutionnelle du pays. Ils se sont trompés s'ils
ont pensé faire peser sur lui la responsabilité de ces projets
et de ces mesures, et ils ont, en agissant ainsi, fourni 1'occasion a ceux qui ont présente ou soutiennent ces projets, de donner a la lutte un caractère plus irritant.
Malgré tout, j'ai 1'espoir que les passions se calmeront et
que la paix se fera dans les esprits, surtout si le clergé
suit les sages instructions de Votre Sainteté.
Je remercie Votre Sainteté du témoignage d'estime et de confiance dont Elle m'a honore en m'adressant sa lettre personnelle. Je La remercie aussi de la bénédiction apostolique qu'elle a daigne, a cette occasion, donner a ma famille et a moi, et je La prie d'agréer 1'humble expression de ma haute vénération et de mon profond respect. 

EMILE LOUBET
Président de la République. 
Bien sûr la réponse de Loubet est parfaitement hypocrite. Les lois constitutionnelles de 1975 n'interdisaient pas aux évêques de donner leurs avis. Les mesures qui avaient été mises en œuvre et celles qui se préparaient n'étaient pas des sanctions pénales et ne pouvaient l'être. En revanche elles constituaient des violations de la liberté religieuse, de la liberté individuelle ainsi que de la liberté d'enseignement. Loubet n'avait aucune excuse à la violation massive ni des droits de l'homme ni à celle de la liberté culturelle.

On remarquera enfin, l'argument de Loubet au sujet des lois de la République. Il prétend qu'il est interdit de les critiquer, comme si la doctrine qui inspire ces lois était infaillible. Ce qui est contraire à la laïcité de l'État. L'État n'a pas de doctrine à enseigner, il doit seulement mettre en application la raison universelle de l'homme et une de ses conclusions immédiates: la liberté doctrinale.

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