« Je voudrais demander à des personnes équitables si ce principe: "La matière est dans une incapacité naturelle, invincible de penser", et celui-ci: "Je pense, donc je suis", sont en effet les mêmes dans l'esprit de Descartes et dans l'esprit de saint Augustin, qui a dit la même chose douze cents ans auparavant.
En vérité, je suis bien éloigné de dire que Descartes n'en soit pas le véritable auteur, quand même il ne l'aurait appris que dans la lecture de ce grand saint; car je sais combien il y a de différence entre écrire un mot à l'aventure, sans y faire une réflexion plus longue et plus étendue, et apercevoir dans ce mot une suite admirable de conséquences, qui prouve la distinction des natures matérielle et spirituelle, et en faire un principe ferme et soutenu d'une physique entière, comme Descartes a prétendu faire. Car, sans examiner s'il a réussi efficacement dans sa prétention, je suppose qu'il l'ait fait, et c'est dans cette supposition que je dis que ce mot est aussi différent dans ses écrits d'avec le même mot dans les autres qui l'ont dit en passant, qu'un homme plein de vie et de force d'avec un homme mort. »
http://fr.wikisource.org/wiki/De_l%27art_de_persuader
Ainsi « je pense donc je suis » est au dire de Pascal tiré de Saint Augustin. Je l’avais lu aussi dans Gilson (Commentaire du discours de La Méthode p. 295 Vrin éd. 1987)
On lit en effet dans la Cité de Dieu Livre XI, ch 26
« mais je suis très-certain, sans fantôme et sans illusion de l’imaginative, que j’existe pour moi-même, que je connais et que j’aime mon être. Et je ne redoute point ici les arguments des académiciens ; je ne crains pas qu’ils me disent: Mais si vous vous trompez? Si je me trompe, je suis; car celui qui n’est pas ne peut être trompé, et de cela même que je suis trompé, il résulte que je suis. Comment donc me puis-je tromper, en croyant que je suis, du moment qu’il est certain que je suis, si je suis trompé? Ainsi, puisque je serais toujours, moi qui serais trompé, quand il serait vrai que je me tromperais, il est indubitable que je ne puis me tromper, lorsque je crois que je suis 1. Il suit de là que, quand je connais que je connais, je ne me trompe pas non plus; car je connais que j’ai cette connaissance de la même manière que je connais que je suis. Lorsque j’aime ces deux choses, j’y en ajoute une troisième qui est mon amour, dont je ne suis pas moins assuré que des deux autres. Je ne me trompe pas, lorsque je pense aimer, ne pouvant pas me tromper touchant les choses que j’aime: car alors même que ce que j’aime serait faux, il serait toujours vrai que j’aime une chose fausse. Et comment serait-on fondé à me blâmer d’aimer une chose fausse, s’il était faux que je l’aimasse? Mais l’objet de mon amour étant certain et véritable, qui peut douter de la certitude et de la vérité de mon amour? Aussi bien, vouloir ne pas être, c’est aussi impossible que vouloir ne pas être heureux; car comment être heureux, si l’on n’est pas? »
Traduction tirée du site jesusmarie.com
Ce que fait observer Pascal, c’est que saint Augustin écrit en substance « je pense, donc je suis », qu'il développe en "j'aime donc je suis", puis en "je veux être heureux, donc je suis" (deux choses absentes chez Descartes) ; mais il le fait en passant dans un but de réfutation du scepticisme, alors que Descartes va fonder toute sa "physique" sur cette évidence. Pascal met à part la question de savoir si Descartes a réussi efficacement à le faire, mais en tire des conséquences sur les idées qui donnent vie à l'esprit humain, qui ont un effet sur l'esprit. ("sont en effet" doit se comprendre, transcrit dans la langue du XXIème siècle, "ont pour effet"). Il va jusqu'à dire que les idées qui n'animent pas l'homme, le laisse à cet égard, comme mort.
1 commentaire:
Mon Dieu que vous êtes savant, Denis. Je serai bien incapable de poster des commentaires sur vos posts de ces jours-ci. Vous devriez de temps en temps parler de sujets plus simples pour qu'on puisse communiquer avec vous...
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