Spe salvi (§ 13 extrait):
« Toutes ces tentatives de représentation de l'espérance ont donné à de nombreuses personnes, au fil des siècles, l'élan pour vivre en se fondant sur la foi et en abandonnant aussi, de ce fait, leurs « hyparchonta », les substances matérielles pour leur existence. L'auteur de la Lettre aux Hébreux, dans le onzième chapitre, a tracé une sorte d'histoire de ceux qui vivent dans l'espérance et du fait qu'ils sont en marche, une histoire qui va d'Abel à son époque. À l'époque moderne, une critique toujours plus dure de cette sorte d'espérance s'est développée: il s'agirait d'un pur individualisme, qui aurait abandonné le monde à sa misère et qui se serait réfugié dans un salut éternel uniquement privé. Dans son introduction à son œuvre fondamentale « Catholicisme. Aspects sociaux du dogme », Henri de Lubac a recueilli certaines opinions de ce genre, qui méritent d'être citées: « Ai-je trouvé la joie? Non [...]. J'ai trouvé ma joie. Et c'est terriblement autre chose [...]. La joie de Jésus peut être personnelle. Elle peut appartenir à un seul homme, et il est sauvé. Il est en paix [...] pour maintenant et pour toujours, mais seul. Cette solitude de joie ne l'inquiète pas, au contraire: il est l'élu. Dans sa béatitude, il traverse les batailles une rose à la main ». (1)
(Voir aussi les paragraphes 16 et 17 qui dénoncent l'injustice de la pensée moderne à l'égard des institutions chrétiennes: Église et État d'Ancien Régime)
Mais si l'on a une vision saine du bien commun, on comprend que finalement cette vérité spirituelle ultime qui est "Je n'ai qu'une âme qu'il faut sauver." n'est pas une vérité libérale. Elle me fait obligation de dire la vérité à mon prochain. Elle me fait obligation de lui rendre justice. Elle me fait obligation de l'aimer comme moi-même parce qu'il est un frère (ou une sœur). C'est pourquoi "Je n'ai qu'une âme qu'il faut sauver" est une vérité sociale, une vérité d'amour des autres. En sauvant mon âme, je sauve celle des autres et ils sauvent mon âme en se sauvant, eux. C'est une expression de la solidarité humaine universelle.
Lorsque je dénonce des injustices, je travaille au bien de tous. Lorsqu'un juge inflige une juste peine, il sauve l'âme du condamné (si celui-ci y consent) et il sauve son âme. Lorsque qu'un condamné subit une injuste peine, s'il l'accepte pour des raisons spirituelles et se montre exemplaire, il tente de sauver les méchants qui l'ont condamné. Tout se résout dans le bien commun (et le Bien commun universel est Dieu), même le salut individuel des âmes.
(1) L'image de l'homme qui traverse les batailles une rose à la main est de Jean Giono.
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