20.3.10

L'abbé Laguérie cite l'Andromaque de Racine, mais j'aurais préféré Athalie


Enfoncez-vous bien cela dans la tête : cette chose n'est pas un être humain. Ou alors... il s'agit peut-être d'un "injuste agresseur", d'un dangereux bandit en train de brandir une arme.



L'abbé Laguérie applique cette citation de Racine au problème de l'avortement :

"Je ne sais de tout temps quelle injuste puissance
Laisse le crime en paix et punit l'innocence."

Cette citation n'a aucun lien avec l'avortement ni même avec l'homicide. Elle est tirée d'Andromaque. C'est un répartie d'Oreste un des quatre principaux personnages de la pièce.

Oreste est un "looser". Il est toujours à la recherche du bonheur qui le fuit. Il est amoureux d'Hermione qui le repousse. Il voudrait se suicider mais préférerait que des gens se chargent de le tuer. Il est impatient contre la Providence. Il se voit pur et bon et toujours malheureux, il voit en revanche des méchants avoir de grands succès.

C'est dans ces circonstances qu'il murmure que la Providence est injuste, qu'elle laisse le crime en paix et punit l'innocence et que puisqu'il en est ainsi, il va se faire méchant pour mériter la haine des dieux qui seront enfin justes.

Oreste forme un personnage que nous qualifierions de dépressif et de suicidaire qui, à la fin de la pièce perdra totalement la raison, écrasé par l'homicide dont il se sera rendu coupable, homicide demandé par Hermione donc destiné à lui acheter le faveurs de la très charmante de ses rêves. Alors qu'en définitive cet homicide ne fera que le faire prendre en horreur par celle qu'il voulait enfermer dans la complicité d'un crime.

Hermione, son amour, lui déclarera avant de se suicider :

"et tu me fais horreur."

Et plus loin le traitera de "traître", de "monstre" :

"Adieu. Tu peux partir. Je demeure en Epire :

Je renonce à la Grèce, à Sparte, à son empire,

A toute ma famille ; et c'est assez pour moi,

Traître, qu'elle ait produit un monstre comme toi.



Absolument rien à voir avec l'avortement.

D'ailleurs voici un plus large extrait de la tirade d'Oreste

"Mon innocence enfin commence à me peser.

Je ne sais de tout temps quelle injuste puissance

Laisse le crime en paix, et poursuit l'innocence.

De quelque part sur moi que je tourne les yeux,

Je ne vois que malheurs qui condamnent les dieux.

Méritons leur courroux, justifions leur haine,"


Il dit en quelque sorte, puisque les dieux sont méchants, hé bien soyons méchants au moins nous saurons pourquoi nous souffrirons. C'est un désespéré qui peut devenir dangereux.


Pour trouver un lien avec l'assassinat des enfants, je proposerais plutôt l'hypotypose extraite d'Athalie.

Le récit qui suit est mis dans la bouche de Josabet, la femme du grand-prêtre :


"De princes égorgés la chambre était remplie.

Un poignard à la main, l’implacable Athalie

Au carnage animait ses barbares soldats,

Et poursuivait le cours de ses assassinats.

Joas, laissé pour mort, frappa soudain ma vue.

Je me figure encor sa nourrice éperdue,

Qui devant les bourreaux s’était jetée en vain

Et faible le tenait renversé sur son sein.

Je le pris tout sanglant. En baignant son visage,

Mes pleurs du sentiment lui rendirent l’usage,

Et soit frayeur encore, ou pour me caresser,

De ses bras innocents je me sentis presser."


La nourrice morte pour avoir voulu protéger l'enfant, un enfant miraculé échappant au massacre perpétré par de "barbares soldats", massacre de ses propres petits-enfants organisé par Athalie, leur grand-mère apostate... La femme providentielle et salvatrice qui a gardé la vraie foi et sauve le bébé du poignard de l'aïeule... Cela me semble plus proche du drame de l'avortement qui met en scène, souvent, des hommes barbares, des grands-mères homicides, mais aussi des femmes miséricordieuses et héroïques qui risquent leurs vies pour la vie des enfants.

(Mes citations de Racine sont prises de wikisources : Athalie http://fr.wikisource.org/wiki/Athalie et Andromaque : http://fr.wikisource.org/wiki/Andromaque) Ces extraits de Racine sont un exemple du mystère de la tragédie où l'on se plaît à pleurer en contemplant le coeur "impénétrable" de l'homme (Jr 17,9).

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