31.10.13

Arrêt du 23 octobre 2013 sur la notion d'ordre public français

La Cour de cassation a rendu un arrêt le 23 octobre 2013 signalé par le Jurisclasseur.

Voici l'arrêt tel qu'il est publié sur le site de la Cour de cassation :


« Arrêt n° 1147 du 23 octobre 2013 (12-21.344) - Cour de cassation - Première chambre civile - ECLI:FR:CCASS:2013:C101147
Cassation
Demandeur(s) : Mme X..., épouse Y...
Défendeur(s) : M. Y...
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. Y... et Mme X..., de nationalité algérienne, se sont mariés en Algérie, où ils ont vécu les premières années de leur vie commune, avant de s’installer en France où sont nés leurs deux derniers enfants ; que, par jugement du 29 mars 2005, le tribunal d’Annaba (Algérie), saisi par l’époux, a prononcé la dissolution du mariage sur le fondement de l’article 48 du code de la famille algérien ; que l’épouse ayant saisi un juge français d’une requête en divorce, déposée le 8 mars 2010, l’époux a soulevé l’exception tirée de l’autorité de la chose jugée attachée à cette décision étrangère ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l’article 1134 du code civil ;
Attendu que, pour déclarer irrecevable la requête en divorce de l’épouse, l’arrêt retient que le divorce demandé par l’époux devant le tribunal algérien a été prononcé pour faute après l’énoncé de motifs précis ;
Qu’en statuant ainsi, alors, qu’après avoir rappelé, dans l’exposé des faits, les motifs de la demande de l’époux, la décision algérienne, relevait pour prononcer la dissolution du mariage, que le requérant avait démontré son attachement à cette dissolution par sa volonté unilatérale et que, tant que la volonté du mari persistait, sa requête était fondée légalement, ce qui imposait l’acceptation de sa demande, la cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis de cette décision étrangère ;
- Et sur la deuxième branche :
Vu l’article 1er, d), de la Convention franco-algérienne, du 27 août 1964, ensemble l’article 5 du protocole, du 22 novembre 1984, n° VII, additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Attendu qu’il résulte du premier de ces textes que les décisions gracieuses ou contentieuses rendues par les juridictions algériennes n’ont de plein droit l’autorité de la chose jugée que si elles ne contiennent rien de contraire à l’ordre public et du second que les époux jouissent de l’égalité de droits et de responsabilité lors de la dissolution du mariage ;
Attendu que, pour retenir que la décision algérienne n’était pas contraire à la conception française de l’ordre public international, l’arrêt, après avoir constaté que l’épouse avait été dûment convoquée à l’audience de conciliation, et précisé que le code de la famille algérien prévoit trois procédures de divorce, tout d’abord, à la demande de l’époux, ensuite, par consentement mutuel et, enfin, à la demande de l’épouse, en cas de faute ou de désaccord persistant entre les époux, en déduit que c’est à tort que Mme X..., qui avait la possibilité d’agir elle-même en justice et de faire valoir ses observations et ses demandes au cours de la procédure, allègue une inégalité entre les sexes ;
Qu’en statuant ainsi, alors que la décision algérienne, prise en application de l’article 48 du code de la famille algérien, non modifié par la réforme de 2005, constatait la répudiation unilatérale et discrétionnaire par la seule volonté du mari, pour des motifs que ce dernier n’était tenu ni de révéler, ni de justifier, sans donner d’effet juridique à l’opposition de l’épouse, fût-elle dûment convoquée, ce qui rendait cette décision contraire au principe de l’égalité des époux lors de la dissolution du mariage, quelles que soient les nouvelles voies de droit ouvertes à l’épouse pour y parvenir, la cour d’appel, dès lors que l’épouse était domiciliée en France, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 28 septembre 2011, entre les parties, par la cour d’appel d’Orléans ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris ; »

L'arrêt fait référence au protocole n° VII (article 5) qui prévoit que les époux sont égaux dans leurs droits et responsabilités lors de la dissolution du mariage.

Cette disposition n'est qu'une application générale du principe selon lequel les êtres humains sont égaux dans leurs droits fondamentaux. Or aucune raison ne milite pour octroyer des droits contingents au mari plutôt qu'à la femme dans le mariage. Les inégalités ne peuvent provenir que de la division des tâches dues à la maternité qui est une donnée de la nature (la femme a droit à une protection légale particulière de ce fait). Les époux, en vertu de la liberté, étant évidemment libres de s'organiser, dans la mesure des droits fondamentaux de l'homme, à leur guise dans le fonctionnement de la famille et chacun pouvant se donner le rôle qui lui convient dans sa sphère d'autonomie.

La Cour stipule toutefois que le jugement était inopposable à l'épouse parce que « l’épouse était domiciliée en France ».

Or, selon moi, l'ordre public en question n'est pas un ordre public français, ordre public auquel les étrangers seraient autorisés à déroger, mais un ordre public universel découlant de l'égalité fondamentale de tous les êtres humains. Il n'est donc pas licite de limiter l'application de cet ordre public aux seules personnes domiciliées en France.

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