15.2.10

Dans le viol, le seul qui se souille est le violeur

Dans « La cité de Dieu » (426) saint Augustin se pose la question des viols tant des femmes mariées que des vierges. Il se pose cette question à propos du viol des Romaines par les Goths. lors du sac de Rome (410 de notre ère) et il fait référence à cette occasion au viol suivi du suicide de Lucrèce, héroïne de la Rome antique (509 avant notre ère).

Lucrèce violée, après avoir dénoncé son violeur à son mari, s’est suicidée. Elle était en grand honneur dans la Rome païenne. Augustin pense, lui, qu’elle a eu tort de se suicider. Voici des extraits de son texte ("La cité de Dieu" livre 1er chapitre XVIII in fine et XIX) :

« La sainteté du corps ne consiste pas à préserver nos membres de toute altération et de tout contact : mille accidents peuvent occasionner de graves blessures, et souvent, pour nous sauver la vie, les chirurgiens nous font subir d’horribles opérations. Une sage-femme, soit malveillance, soit maladresse, soit pur hasard, détruit la virginité d’une jeune fille en voulant la constater, y a-t-il un esprit assez mal fait pour s’imaginer que cette jeune fille par l’altération d’un de ses organes, ait perdu quelque chose de la pureté de son corps? Ainsi donc, tant que l’âme garde ce ferme propos qui fait la sainteté du corps, la brutalité d’une convoitise étrangère ne saurait ôter au corps le caractère sacré que lui imprime une continence persévérante. (…)

Nous soutenons que lorsqu’une femme, décidée à rester chaste , est victime d’un viol sans aucun consentement de sa volonté, il n’y a de coupable que l’oppresseur.

(…) [prenant ensuite l’exemple de Lucrèce, femme mariée, violée par « le fils de Tarquin », il continue son raisonnement] J’admire beaucoup cette parole d’un rhéteur qui déclamait sur Lucrèce : « Chose admirable !» s’écriait-il ; « ils étaient deux; et un seul fut adultère ! » Impossible de dire mieux et plus vrai. Ce rhéteur a parfaitement distingué dans l’union des corps la différence des âmes, l’une souillée par une passion brutale, l’autre fidèle à la chasteté, et exprimant à la fois cette union toute matérielle et cette différence morale, il a dit excellemment: « Ils étaient deux, un seul fut adultère».
[Il condamne dès lors le suicide subséquent de Lucrèce]
Mais d’où vient que la vengeance est tombée plus terrible sur la tête innocente que sur la tête coupable? Car Sextus n’eut à souffrir que l’exil avec son père, et Lucrèce perdit la vie. S’il n’y a pas impudicité à subir la violence, y -a-t-il justice à punir la chasteté ? C’est à vous que j’en appelle, lois et juges de Rome ! Vous ne voulez pas que l’on puisse impunément faire mourir un criminel, s’il n’a été condamné. Eh bien! supposons qu’on porte ce crime à votre tribunal : une femme a été tuées non-seulement elle n’avait pas été condamnée, mais elle était chaste et innocente ne punirez-vous pas sévèrement cet assassinat ? Or, ici, l’assassin c’est Lucrèce. Oui, cette Lucrèce tant célébrée a tué la chaste, l’innocente Lucrèce, l’infortunée victime de Sextus. Prononcez maintenant. Que si vous ne le faites point, parce que la coupable s’est dérobée à votre sentence, pourquoi tant célébrer la meurtrière d’une femme chaste et innocente ?(…)
[et il condamne la honte qui l’a conduite au suicide]
Quant à nous, pour réfuter ces hommes étrangers à toute idée de sainteté qui osent insulter les vierges chrétiennes outragées dans la captivité, qu’il nous suffise de recueillir cet éloge donné à l’illustre Romaine : « Ils étaient deux, un seul fut adultère». On n’a pas voulu croire, tant la confiance était grande dans la vertu de Lucrèce, qu’elle se fût souillée par la moindre complaisance adultère. Preuve certaine que, si elle s’est tuée pour avoir subi un outrage auquel elle n’avait pas consenti, ce n’est pas l’amour de la chasteté qui a armé son bras, mais bien la faiblesse de la honte. Oui, elle a senti la honte d’un crime commis sur elle, bien que sans elle. Elle a craint, là fière Romaine, dans sa passion pour la gloire, qu’on ne pût dire, en la voyant survivre à son affront, qu’elle y avait consenti. A défaut de l’invisible secret de sa conscience, elle a voulu que sa mort fût un témoignage écrasant de sa pureté, persuadée que la patience serait contre elle un aveu de complicité
Telle n’a point été la conduite des femmes chrétiennes qui ont subi la même violence. Elles ont voulu vivre, pour ne point venger sur elles le crime d’autrui, pour ne point commettre un crime de plus, pour ne point ajouter l’homicide à l’adultère; c’est en elles-mêmes qu’elles possèdent l’honneur de la chasteté, dans le témoignage de leur conscience; devant Dieu, il leur suffit d’être assurées qu’elles ne pouvaient rien faire de plus sans mal faire, résolues avant tout à ne pas s’écarter de la loi de Dieu, au risque même de n’éviter qu’à grand’peine les soupçons blessants de l’humaine malignité. »

Il conclut que l’homme porté au mal soupçonnera parfois, sans aucun titre à le faire, la chasteté de la victime. Dans ce cas, la victime maltraitée par la société jouira du seul témoignage de sa conscience, sanctuaire où elle est seule avec Dieu.

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