Marie Rivet :
"Cher Denis, Mme Boutin se doit de s'en tenir à la morale laïque sinon ce n'est à l'application de la morale chrétienne que l'on finira par assister mais à une autre bien plus contraignante. Pourquoi le coït serait-il obligatoire pour la procréation? Jésus a bien été conçu "sans péché"? Non?
Il est certain qu'il ne faut pas tout accepter. Le cas de cet Americain transsexuel qui avait gardé son utérus après être devenu homme (avec les traitements hormonaux que cela suppose) et qui est maintenant "enceint" est immoral à mon sens ne serait-ce que parce que l'enfant risque de naître en mauvaise santé."
Denis Merlin
Chère Marie, je vois votre objection. Je suis très sensible à la difficulté que vous soulevez : il est en effet intolérable qu’une superstition tente d’imposer ses lubies à tous.
Cependant, remontons aux principes, quelqu’un a-t-il un titre à imposer son opinion ?
A ce moment du raisonnement, il est évident que la morale laïque ne peut s’imposer comme un dogme s’impose aux croyants par rapport aux autres opinions, elle est sur un pied d’égalité avec les autres opinions. Ceux qui en sont partisans n’ont aucun titre supérieur à ceux de leurs frères humains.
Schématiquement on peut assimiler morale laïque à morale positiviste.
Donc en principe, dans le débat, nous devons permettre l’expression de toutes les morales.
Ici on ne peut exclure celle de l’Église. L’Église a un titre à être entendue en raison de son ancienneté, de sa mémoire et de son expertise en matière humaine. Il n’y a pas de honte à reprendre les textes du pape et des évêques.
Donc les femmes et hommes politiques peuvent utiliser les arguments de l’Église, sans toutefois se réclamer de son autorité car ils n’ont qu’un titre qu’à exprimer leur opinion personnelle, mais jamais ils ne peuvent engager l’Église.
Lors du débat tout le monde peut faire valoir ses propositions.
Lorsque l’on va passer au vote, lorsque l’on va choisir la solution, c’est la lumière de la raison qui a autorité. Mais cette raison n’est pas la raison positiviste qui exclut par principe la possibilité pour l’intellect humain de sortir des phénomènes.
« Saint Thomas d'Aquin s’exprime clairement à ce sujet : « La Volonté humaine a pour règle et pour mesure de son degré de bonté la raison de l’homme ; celle-ci tient son autorité de la loi éternelle, qui n'est autre que la raison divine... Ainsi, c'est bien clair, la bonté du vouloir humain dépend bien plus de la loi éternelle que de la raison humaine (27). » (Bx Jean XXIII Pacem in Terris § 38 sur le site du Vatican). C’est ainsi bien la raison humaine qui est la règle et cette raison tient son autorité de Dieu. Cette raison humaine doit régler la volonté commune (qui ne contien rien d'autres qu'une somme de volontés humaines) en démocratie.
Les droits de l’homme, la dignité de l’homme tels que les entend l’Église, ne dépendent à l’évidence pas des données de l’expérience telle que l’entend le positivisme.
Dans le cas particulier que nous examinons, celui des mères porteuses. En nous élevant au-dessus des phénomènes, nous rencontrons la mystérieuse dignité de l’homme. Du fait de cette dignité, seul l’amour, (en sens de « faire l’amour ») entre deux êtres de sexes différents est digne de donner la vie à un autre être humain. L’être humain doit être conçu lors d’un « faire l’amour » et jamais en dehors. De plus l’indisponibilité (le fait qu’il ne puisse être ni vendu, ni donné, ni loué, ni prêté) de l’être humain interdit absolument qu’ils puisse être transféré par contrat d’un utérus dans un autre. Ni la mère naturelle, ni la mère porteuse n'ont de titre à conclure ce contrat. Et si la loi et les magistrats reconnaissent valable ce contrat, leurs lois et leurs décisions seront de purs faits et non "des décisions de justice."
Ravaler l’être humain au niveau de la médecine vétérinaire, le considérer comme une bête comme une autre n’est pas conforme à la raison, n’est pas conforme à l’expérience, encore que cela puisse être conforme à la morale positiviste et donc à la morale laïque.
Toutes les considérations compassionnelles se heurteront à ces deux principes 1) que l’homme est d’une dignité spéciale, 2) et que l’on n’a jamais le droit de faire le mal pour qu’il arrive un bien.
C’est pourquoi je regrette que madame Boutin n’ait pas parlé en qualité de chrétienne refusant la morale positiviste. En effet même si sur le terrain positiviste les arguments étaient, par hypothèse, suffisants pour refuser les trafics concernant l’être humain (aussi bien du côté de la mère, de la semence du père, et encore plus de l’enfant), s’interdire les principes intellectuels en admettant les principes qui nous mènent à ces horreurs, c’est donner raison par avance aux adversaires sur le terrain des principes.
C'est pourquoi votre crainte (O combien justifiée) de voir des superstitions faire la loi, ne doit pas nous interdire d'invoquer le fait de notre catholicisme, car notre catholicisme respecte la raison comme émanation de la raison divine, de la loi éternelle dont elle émane.