4.11.12

Benoît XVI est-il Kantien ?

Les lefebvristes disent que Benoît XVI est kantien. Probablement parce qu'il a préfacé un des livres de monsieur Marcello Pera.

Monsieur Pera, lui, semble bien kantien ou du moins hostile à la métaphysique. Il veut se référer au christianisme comme à une foi seule capable de fonder la morale et le droit.

Il écrit dans son livre "Pourquoi nous devons nous dire chrétiens" (p. 163 in fine) en citant Benoît XVI

« On ne voit pas de voie moyenne ou de synthèse possible. La notion de raison comme «raison pratique » ou « phronèsis » a disparu depuis au moins la révolution scientifique, depuis la « grande division » - d'un côté le fait empirique, de l'autre le bien moral ; d'un côté la science, de l'autre la foi - qu'elle a instaurée. « Elargir les frontières de la raison » ou « dépasser la limitation auto-décrétée de la raison » selon les mots de Benoît XVI, est une nécessité entendue pour éviter de vivre coupé en deux. Mais c'est un appel, justifié et dramatique, et non encore (si tant est que cela le soit un jour) une solution disponible théoriquement. »

Il est vrai que monsieur Pera veut ignorer saint Thomas d'Aquin, Jacques Maritain et Etienne Gilson et Concile Vatican II. Sur une bibliographie de 15 pages, pas une fois Maritain, Gilson ou Vatican II ou le "Catéchisme de l'Eglise catholique" (un extrait de ce catéchisme se trouve pourtant dans le texte de M. Pera) ou Jean-Paul II ne sont cités. Mais il me semble pour moi évident que lorsque Benoît XVI parle d'élargir les frontières de la raison, il vise la possibilité de la raison d'atteindre au domaine métaphysique. Monsieur Pera, selon la méthode habituelle en usage décrète : il n'y aura pas de débat. La métaphysique est impossible. C'est pourquoi il décrète que seule la foi chrétienne peut nous servir de base commune. Ce qui est d'ailleurs contradictoire puisque la foi chrétienne enseigne que l'existence de Dieu peut être prouvée par la raison.

Or la métaphysique rationnelle est possible, c'est de foi chrétienne.

Fides et ratio enseigne ainsi :


« 83. Les deux exigences que l'on vient d'évoquer en comportent une troisième: la nécessité d'une philosophie de portée authentiquement métaphysique, c'est-à-dire apte à transcender les données empiriques pour parvenir, dans sa recherche de la vérité, à quelque chose d'absolu, d'ultime et de fondateur. C'est là une exigence implicite tant dans la connaissance de nature sapientielle que dans la connaissance de nature analytique; en particulier, cette exigence est propre à la connaissance du bien moral, dont le fondement ultime est le souverain Bien, Dieu lui-même. Mon intention n'est pas ici de parler de la métaphysique comme d'une école précise ou d'un courant historique particulier. Je désire seulement déclarer que la réalité et la vérité transcendent le factuel et l'empirique, et je souhaite affirmer la capacité que possède l'homme de connaître cette dimension transcendante et métaphysique d'une manière véridique et certaine, même si elle est imparfaite et analogique. Dans ce sens, il ne faut pas considérer la métaphysique comme un substitut de l'anthropologie, car c'est précisément la métaphysique qui permet de fonder le concept de la dignité de la personne en raison de sa condition spirituelle. En particulier, c'est par excellence la personne même qui atteint l'être et, par conséquent, mène une réflexion métaphysique. »


Il peut sembler déroutant que Benoît XVI prone la lecture d'un texte acatholique. Peut-être le texte de monsieur Pera est-il intéressant surtout par sa critique du multiculturalisme qui conduit à l'islamisation ? Un des autres mérites de monsieur Pera, libéral, est la mise en évidence de l'anéantissement intellectuel progressif (de Locke à Stuart Mill en passant par Hegel pour finir, provisoirement à Rawls(1) du libéralisme (une liberté vidée, une liberté sans valeurs). Quoiqu'il en soit c'est que dit Benoît XVI dans la préface du livre : ce qui l'a "impressionné", c'est la critique du multiculturalisme.

Car le multiculturalisme conduit à l'islam.  Voici le passage qui me paraît central :

« (…) L'Europe aime l'islam pour les mêmes raisons que l'islam déteste l'Europe : son laïcisme, son relativisme, son multiculturalisme, son discrédit du sentiment religieux. Et l'Europe offre un dialogue à l'islam pour la même raison qui fait qu'elle ne sait plus et ne veut plus  parler avec elle-même : le refus de ses propres racines. Dans ces conditions, tout est transformé : compréhension de l'islam signifie collusion, union signifie adhésion, jugement signifie soumission, confrontation signifie reddition. Et intégration des musulmans signifie occupation de la part des islamistes. »

Le sénateur Pera confirme donc bien que le relativisme, qui est la source du multiculturalisme, est bien un islamo-relativisme tel que je le trouve dans l'histoire depuis bien plus longtemps que monsieur Pera. Il y a un islamisme de Rousseau, de Montesquieu, de Voltaire, de Nietzsche, de Napoléon III et de Hitler et sans doute de bien d'autres, depuis bien plus longtemps. Le relativisme ("Tout se vaut") conduit à admirer l'islam et cela pour des raisons sans doute plus profondes que celles que le Sénateur met en évidence.

Mais on ne peut déduire de cela que Benoît XVI, malgré son amitié pour un kantien, soit kantien. Le Pape admet probablement comme un moindre mal la revendication de monsieur Pera de se dire chrétien en désespoir de cause, cela ne signifie pas qu'il épouse toutes ses thèses.

(1) page 157 du livre de monsieur Pera, note 86 : John Rawls est le signataire, parmi d'autres, d'une note en qualité d'amicus curiæ à la Cour suprême des Etats-Unis dans laquelle le suicide est "justifié".

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