Pour Engels dans le fond la pensée, c’est un peu de vibration de l’air, c’est un peu d’encre sur le papier. Cette vibration ou cette encre détermine dans le cerveau de l’auditeur ou du lecteur d’autres réactions chimiques dans son organisme, c’est la transmission de la pensée, c’est la détermination de l’autre à agir. Ce ne seront que d’autres réactions physico-chimique que l’on pourrait mettre en équations mathématiques, si la science expérimentale était plus avancée.
Peut-être suis-je un peu simpliste. Je caricature la pensée d’Engels ? Je ne le crois pas. Ce qui caractérise la pensée matérialiste est son extrême simplisme. Lorsqu’Engels énonce « le cerveau sécrète la pensée comme le foie sécrète la bille », il dit bien cela, il me semble. Il veut dire, il n’y a pas d’âme, il n’y a pas de « pensée » indépendante de la matière.
Tout est très clair, trop sans doute. Cela a donné le « génial Staline » que l’on prenait et qui se prenait pour un génie universel. Une pensée qui explique tout, ou rien n’est mystérieux, est une pensée qui séduit. Dans la conversation, vous avez réponse à tout, dans votre vie intellectuelle, pas de mystère, pas de questions non résolues. Le confort intellectuel et moral vous est offert moyennant peu d’efforts.
Or, selon Gilson reprenant Plotin, la pensée énonce nécessairement, présuppose nécessairement des notions abstraites qui la constitue. Par exemple si j’énonce « je pense donc, je suis. » Ce qui est une vérité saisie intuitivement, laquelle ne permet aucun doute raisonnable. Cette intuition, ma pensée la jugera « juste », « vraie », voire « belle ». Le « juste », le « beau » le « vrai » sont des « intelligibles », des notions abstraites qui forment le tissu de notre pensée. Il est impossible de penser sans penser « vrai », ma pensée est « vraie », cela est présupposé dans toute pensée.
Gilson dans « Constantes Philosophiques de l’Etre » p. 160 s’inspirant de Plotin poursuit son exposé : « Comment [l’intelligence] peut-elle se mettre à leur recherche [du beau, du vrai] sans se mouvoir, elle qui n’est pas dans l’espace ? (…) La vérité est qu’elle ne s’en compose pas. Elle est la totalité de ces intelligibles [le vrai, le beau, le juste etc.] qui sont des êtres ; elle n’a donc besoin ni de raisonner pour les atteindre, ni de se conformer à eux pour être vraie. » En effet, avant le raisonnement se situe l’intuition des « vérités premires ».
Nous ne sommes pas dans le domaine des vérités démontrables, issues de raisonnements, nous nous situons ici avant même le raisonnement. Ces vérités font l’accord de tous les esprits, elles sont au principe de la pensée et la constituent. Découvrir cela n’est évidemment pas découvrir toute la science, mais seulement réfléchir sur les principes de la pensée et sur la pensée elle-même.
Pour répondre à Marie, Gilson poursuit « ce langage qui m’est d’abord du dehors, et où je peine à verser un sens intelligible (…) est-ce lui qui cause le sens qui en fait un langage ? Peu de spectacles sont si troublants que celui de ces primates dits « supérieurs » dont le regard, l’attitude les gestes et le balbutiement, précipité mais intense, semblent vouloir « dire quelque chose » qu’ils ne parviennent pas à exprimer. Ils sont en permanence dans la situation bien connue de l’homme « qui manque de mots pour s’exprimer »
Cela tendrait à prouver que la pensée est antérieure au langage, car les animaux semblent penser mais sont incapables de l’exprimer autrement que par des gestes ou des mimiques.
Un chien est capable d’exprimer une joie indicible de vous voir, l’envie de partager une affection, une contrition d’avoir fait une bêtise, la honte d’avoir été inconsidéré etc. On le voit à sa mimique, à son attitude, pourtant il est incapable de le dire.
Selon moi, donc et à la suite du Cardinal Antoniano (auteur de De l’Education Chrétienne des Enfants) les animaux sont capables de pensées rudimentaires, y compris de pensées morales, comme celle de se sentir coupables. Il ne sont évidemment pas capables d’exprimer beaucoup de nuances, mais ils pensent.