Marie me demande dans une de ses posts-commentaires sur mon blog pourquoi ce long silence. Elle a souvent la gentillesse de me lire et de s’intéresser à ce que j’écris, je lui dois donc une réponse.
La réponse, c’est que pendant plusieurs jours, j’ai été invité sur un voilier pour une traversée depuis la Bretagne (la presqu’île de Quiberon), jusqu’en Espagne (Vigo, la Galice)
Pour moi, c’était le baptême de l’océan, au moins pour la pleine mer. La Méditerranée, je connais un peu, je suis allé en bateau au Maroc (j’avais deux ans et j’ai failli me noyer dans le bac de lavage du pont, le matelot m’a tiré de là par la taille) ; ensuite dans les années 70 j’ai été invité à faire le tour de la Corse, la merveilleuse, l’incomparable « Île de Beauté » (1). Mais l’océan, je ne connaissais pas.
La première différence entre l’océan et la Méditerranée, c’est que l’océan est terriblement FROID. Nous étions dans la dernière semaine de mai et la première de juin, juste pour le week-end de la Pentecôte, nous allions vers l’Espagne, plus au sud que Marseille, exactement à la latitude de la Corse (quarante-deuxième parallèle) et pourtant nous avions froid. Un froid puissant qui n'a rien à voir avec le froid de la montagne qui est un froid léger, un froid qui disparaît au soleil, sur l’océan, c’est un froid à la mesure du paysage : il vous fait comprendre que vous n’êtes pas grand chose et qu’il pourrait facilement vous maîtriser si vous vous amusiez à ne pas tenir compte de lui.
La deuxième caractéristique, c’est que lorsque vous êtes sur l’océan, vous êtes seuls, beaucoup plus seul que sur la Méditerranée. Les vagues sont plus grandes, la houle est plus creusée, le bleu de la mer, plus intense, presque noir. L’isolement est beaucoup plus marqué. La vie, que vous soupçonnez intense dans l’abîme, ne se montre que de loin ; rarement des dauphins sautent-ils de l’eau, pour s’amuser et vous faire un petit signe.
Aussi lorsque notre skipper à environ quatre cents kilomètres des côtes (deux-cent milles marins) voit un pigeon se poser sur le bateau, il lui fait immédiatement la fête. Car des oiseaux de mers, des fous de bassans et d’autres dont je n’ai pas retenu le nom, on en voit. Mais où dorment-ils ? Vincent notre skipper qui a réponse à tout, « Ils dorment en volant ! » Quelles drôles de créatures, dormir en volant, mais peut-on se reposer en volant ? Hé oui ! Ils ne viennent à terre que deux ou trois mois pendant l’année pour se reproduire, car les amours et les poussins, ça a besoin de la terre. Mais, pour le reste du temps, mâles et femelles vivent chacun de leurs côtés, en l’air et ne plongent que pour pêcher. Ce n’est pas le cas du pigeon qui dort sur la terre et mange du blé et boit de l’eau douce.
Notre pigeon donc est un extra-terrestre sur la mer.
Il a l’air d’un vieux mâle, un peu bourru, engoncé dans ses plumes. Ouf ! Ces humains m’ont sauvé la vie ! Que lui est-il arrivé, s’est-il détaché du vol, pour s’amuser et montrer que les vieux mâles n’ont besoin de personne ? Faire le malin a un prix, et ce prix il allait le payer cher, très cher notre pigeon. Mais la Providence a eu pitié de lui pour cette fois.
Comme on le voit transis de froid, affamé et assoiffé (avoir tant d’eau sous ses ailes et ne pouvoir boire ! Car Bombard disait une bêtise en conseillant de boire l’eau de mer, l’eau de mer à boire, c’est la mort ! Il vaut mieux ne rien boire). Donc quand il arrive à bord, il est un peu intimidé (avec les humains, on ne sait jamais), mais il n’est pas question de le laisser dans le cockpit qui est l’habitacle en plein air. Il fait trop froid. On le met donc dans la cabine commune et c’est là que je fais sa connaissance, car moi, vu le temps j’ai un mal de mer comme n’en avait pas l’amiral Nelson lui-même. Sur ma couchette, j’essaie de garder dans mon estomac le peu d’eau que j’ingurgite. Lui, le mal de mer, il ne connaît pas, alors il me regarde d’un air goguenard. Il essaie de se trouver un petit coin tranquille, bien au chaud. Ouais ! Une niche sous l’échelle de montée au cockpit. Il est vide ce trou prévu sans doute pour des fils électriques. On se dirait à terre dans un trou de rocher sur une falaise. Un vrai trou pour pigeon, juste : ni trop grand pour ne pas perdre la chaleur, ni trop petit pour le confort.
Il est bien, là, dans sa niche improvisée. Une fois installé, il s’agit maintenant de boire et de manger. Vincent lui prépare de quoi se restaurer, juste à côté de l’évier. Un vrai festin ! Bien, bien, la timidité évanouie, notre pigeon sort de son petit chez lui et se met à picorer et à boire de l’eau douce, à boire et à picorer des miettes de pains et tout ce qu’on lui réserve. Le problème, c’est que quand on a bien bu, il faut évacuer et là, c’est le problème, mais nos humains n’ont rien prévu. Un tas de torchons propres fera magnifiquement l’affaire, ça absorbe tout, où est le problème ? (2)
Dans le bateau, comme ça dure deux jours encore pour l’Espagne, notre pigeon s’ennuie, alors il visite. Les couchettes, les cabines les habits des humains quelles curiosités, ça distrait. Là, Vincent se fâche ! Non mais, où est-ce que tu as été élevé ? On doit respecter les affaires des autres. Allez ouste ! On ferme les portes des cabines ; non mais ! Bon, bon Vincent ne te fâche pas, moi c’était juste pour me distraire. Je retourne à mon petit chez moi.
Après une tempête force onze en rafale (ce qui est exceptionnel) on arrive en Espagne. La côte est là en vue, c’est-à-dire à dix km environ du bateau. Lui il la regarde, avec envie, mais instruit par l’expérience, il préfère la prudence. Mon petit chez moi, chez les hommes vaut mieux qu’une volée de dix kilomètres. Nous autres humains du bateau on est bien content de t’avoir. Notre marin professionnel nous dit, on recueille tout ce qui vit en mer, car si on rejette ce qui vit, cela porte malheur. Foin de la superstition, Vincent, nous on garde le pigeon parce qu’on l’aime.
La côte de la Corogne et de la Galice est dentelée comme une coiffe de Bretonne. On passe donc les caps les uns après les autres. Lorsqu’on pénètre enfin dans l’estuaire de Vigo, la mer est calme, le beau soleil d’Espagne nous réchauffe doucement. La côte est à trois cents mètres de chaque côté. L’air est exceptionnellement pur, le bleu du ciel est beaucoup plus bleu que celui de Marseille. Allez, mon vieux, c’est le moment de retourner à la terre ferme qui n’est plus qu’à quelques centaines de mètres. Encore un petit coup d’eau douce, une dernière picorée, et hop ! Je retrouve mes éléments : l’air et la terre.
Il monte haut notre pigeon, il va vers le sud. Vincent lui crie « Alors, malappris, on ne dit même pas merci. » Il entend ça notre pigeon, alors là, lui, un malappris ! Mais sa maman, lui a enseigné les bonnes manières ; mais non, voyons, allons, c’était seulement un moment de griserie de retrouver l’air après trois jours enfermés. A la voix de Vincent, il retourne sur ces ailes, et à trente mètres au dessus du bateau, il fait trois ronds dans l’azur du ciel : « Merci, merci les amis » nous dit-il. « Bonne chance ! » - « Bonne chance, pigeon ! » « Ciao, ciao les amis ! »
(1) Lors de ces vacances en bateau, j’ai vu l’archipel des Lavezzi où sont enterrés les marins et soldats de « La Sémillante ». Vous trouverez le récit du naufrage de « La Sémillante » dans « Les Lettres de mon Moulin » d’Alphonse Daudet. Je vous assure que le récit de auteur est construit sur une réalité. Je vous raconterais cela une autre fois si possible.
(2) Le problème n’était pas bien grave, seulement une pile de torchons bien propres et bien repassés, qu’il a fallu donner à une laverie de Vigo. Ce qui a étonné la sympathique lavandière espagnole.
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