31.5.08

Réflexions sur la nullité de mariage

On a beaucoup parlé de l'affaire d'annulation du mariage pour non virginité de la femme, cette non-virginité étant assimilée par la magistrature française sortie de l'École Nationale de la magistrature à une "qualité essentielle" de l'épouse.

La loi positive française sur cette question, c'est l'article 180 du Code Civil. Cet article dispose que, entre autres causes de nullité, il peut y avoir nullité "s'il y a erreur dans la personne ou sur une qualité essentielle de la personne".

Noter que la loi positive française semble faire de l'annulation une sanction puisque seul l'époux qui a fait "erreur sur la personne" ou "sur une qualité essentielle de la personne" peut demander l'annulation. Il semble supposer l'autre contractant comme de mauvaise foi et le sanctionne en le privant d'action en nullité.

L'erreur sur la personne ne fait pas trop de problème : c'est le cas de jumeaux se substituant l'un à l'autre, ou le cas d'un(e) fiancé(e) aveugle trompé(e), ou alors un mariage par procuration. Bref, ce sont des hypothèses assez théoriques.

Mais qu'est-ce que la "qualité essentielle" de la personne ? La qualité, c'est ce qui qualifie un individu, c'est une des dix catégories d'Aristote.

Quelle qualité ? La loi ne cite pas ces "qualités essentielles", nous devons nous livrer donc à notre imagination, ou plutôt réfléchir à ce qu'est l'essence du mariage :

On ne peut se marier que s'il on est vivant, qu'on est un être humain du sexe opposé à celui de l'autre contractant (car sous le rapport du mariage, il y faut la différence des sexes - comme l'a dit Madame Jospin : "ce qui fonde le mariage n'est pas la sexualité mais la différence des sexes"). On ne peut se marier que si l'on est célibataire, divorcé(e) ou veuf (veuve). Car ces qualités sont "essentielles". "Qualité" chez le cocontractant au regard de l'essence du mariage.

Mais que si je suis un être humain, il n'est pas de mon essence, il n'est nullement de ma qualité essentielle que je sois blanc ou noir, ou Israélien, ou Japonaise. Il n'est pas non plus de mes qualités essentielles que je sois vierge ou non et l'accord des parties pour en faire une conditions de validité est nul, d'une nullité d'ordre public que le juge doit relever d'office.

Le mariage est une institution dont les conditions ne sont pas laissées à la discrétion des contractants. Ce n'est pas un contrat de vente ou de location d'immeuble où les contractants peuvent laisser libre cours à leur imagination pour traiter des conditions de validité du contrat.

Les qualités essentielles nécessaires au mariage devraient donc être appréciées objectivement en regard de la notion même de mariage.

Au lieu de cela les juges français, ignorants de l'essence du mariage, ont déjà jugé "qualité essentielle" des qualités exigées tacitement et subjectivement par l'un des contractants avant le mariage.

Pour montrer que mon propos n'est pas partisan : une dame prétend avoir des sentiments religieux catholiques profonds, elle fait annuler son mariage parce que son futur époux était déjà marié religieusement. Du point de la loi laïque, cela n'est pas une qualité "essentielle", car il n'y a pas bigamie, l'époux est libre.

Il faudrait donc non pas réformer la loi comme je l'ai entendu dire, mais simplement l'appliquer. Ce que ne font pas nos juges par ignorance et défaut de formation juridique et morale.

Je compte revenir, si Dieu veut, sur les questions de compétences judiciaires, de distinction des lois religieuses et civiles.

4 commentaires:

Nathalie H.D. a dit…

Merci beaucoup pour cet excellent exposé clair et factuel. J'ai appris beaucoup.

Unknown a dit…

Merci beaucoup Nathalie.

Je suis très touché de votre gentil message.

Nicolas a dit…

Tout d'abord, merci de centrer le débat sur l'essentiel. Ensuite, pour résumer (n'hésitez pas à intervenir si je me trompe) la question est de savoir si le droit français considère le mariage comme un contrat privé.

Si tel est le cas, les termes du contrat sont définis par les contractants. Et s'il y a viole d'un des termes du contrat, un tribunal peut annuler ce contrat sur plainte d'un des contractants. En l'occurence, si les mariés ont reconnu que la virginité était une qualité essentielle pour l'union par mariage alors il y a eu viole d'un des termes du contrat et l'annulation est donc logique.

Par contre, si le mariage n'est pas considéré comme un contrat privé (ce que vous affirmez) alors les termes ne peuvent être définis entièrement par les contractants.

J'en viens donc à ma question : quelles sont les références juridiques indiquant la différence entre un mariage et un contrat privé et définissant ce qu'est une "qualité essentielle" ?

Unknown a dit…

Le mariage est un contrat qui forme une société d'un homme et d'une femme qui est à la jointure des deux mondes privé et public.

Tout un aspect du contrat de mariage intéresse l'ordre public, mais il ne l'intéresse pas comme tout contrat, il l'intéresse spécialement en raison de sa nature particulière instituée par Dieu lui-même lors de la création d'Eve.

La société formée par un homme et une femme mariés ensemble a un caractère public : cela se voit, par exemple, même dans le droit des affaires où il est fort important de savoir si votre cocontractant est marié et quel contrat relatif aux biens il a conclu avec son conjoint.

Alors, peut-on mettre des conditions particulières autres que les "qualité essentielles" exigées par le mariage, en sanctionnant par la nullité, une exigence particulière, serait-elle commune, au contrat projeté ?

La loi civile répond : non. Seules les qualités essentielles au cocontractant peuvent remettre en cause la validité du mariage.

Il semble que le droit canon ait une position légèrement différente en considérant la condition possible à une triple condition qu'elle porte sur une fin essentielle du mariage (en pratique avoir des enfants) et qu'elle ait été VOLONTAIREMENT cachée au cocontractant. La troisième condition est que cela ait été consigné dans un avant contrat écrit et enregistré chez l'évêque.

Ce mariage dans ce cas ne sera pas nul, mais seulement annulable. Car l'autre fin du mariage, qui est l'entr'aide des époux, est aussi une des deux fins essentielles du mariage et donc valide naturellement les mariages stériles. Si l'impossibilité se révèle après, le mariage n'est pas annulable.

En revanche, si l'autre époux se marie en sachant que l'union restera stérile et/ou n'a pas conclu d'avant contrat, non seulement le mariage n'est pas nul, mais il n'est pas annulable, selon le droit canon.

Vous voyez ici que l'annulation du mariage est plus largement admise par le droit canon que par le droit civil.

Toutefois l'évolution de la jurisprudence civile finit pas considérer la qualité "essentielle"(par ignorance de l'origine philosophique du terme), comme une qualité à laquelle le cocontractant attachait de l'importance.

Nos juges français considèrent le sens de "essentiel" comme le sens qu'il a dans le slogan publicitaire : "boire frais, c'est essentiel", j'exagère, je plaisante, pas tant que ça finalement.

Ils finissent pas considérer que du moment que l'un des cocontactants considère une condition comme essentielle et que le défaut de qualité lui a été caché, le mariage est annulable.

On passe ici d'un sens objectif du mot "essentiel" à un sens personnel et interprêtable à volonté.

Se pose aussi la question de la preuve : ces jurisprudences encouragent les fabrications de preuves, accepte les "aveux"...

Cette dérive jurisprudentielle (qui signe un méconnaissance profonde de l'essence du mariage) a de multiples inconvénients. Notamment elle ne protège plus le mariage et les cocontactants et en l'occurrence surtout les cocontractantes dont on sait qu'elle sont plus vulnérables.

C'est pourquoi monsieur Daoudal a rappelé justement qu'"en mariage trompe qui peut" dicton qui serait de Loysel, parce que les conversations antérieures au mariage sont par nature intimes et que ni la loi ni les juges ne veulent y entrer (enfin pas les juges français, mais ils sont spéciaux).

Mon commentaire est fait au fil de la plume, je n'ai pas la possibilité de fournir l'appareil scientifique, il est fait de réminiscence d'Aristote, de saint Thomas d'aquin, du Naz, du code civil Litec et de mes lectures sur les rédacteurs du code civil.

Un conseil : si vous êtes avocat ou étudiant en droit, oubliez soigneusement ce que je vous ai dit, car ce sont des "vérités" strictement interdites à l'université et devant les tribunaux ;-)).

Pour répondre à votre question : le mariage est un contrat à la fois public et privé. N'oublions pas qu'il est le fondement de toute la société tant publique que privée.