24.6.06

En Matière de filiation Cambacérès avait deux cents ans d'avance

La nouvelle ordonnance sur la filiation laquelle va entrer en vigueur le 1er juillet 2006 abolira la distinction entre enfants « légitimes » et enfants « naturels ».

Un des premiers à avoir prôné cette abolition est Cambacérès en 1793, voilà plus de deux cent dix ans !

Cambacérès préside la commission qui doit rédiger un projet de Code Civil, présenté le 07 août 1793 à la Convention. Ce projet fait suite à divers projets d’Ancien Régime qui n’ont jamais vu le jour et à la décision de la Convention de rédiger un Code.

Dans sont rapport de présentation du projet Cambacérès écrit « si je n’avais à vous présenter que mon opinion personnelle, je vous dirais : tous les enfants indistinctement ont le droit de succéder à ceux qui leur ont donné l’existence ; les différences établies entre eux, sont l’effet de l’orgueil et de la superstition ; elles sont ignominieuses et contraires à la justice. Dans un gouvernement basé sur la liberté, des individus ne peuvent pas être victimes des fautes de leur père. L’exhérédation est la peine des grands crimes : l’enfant qui naît en a-t-il commis ? Et si le mariage est une institution précieuse, son empire ne peut s’étendre jusqu’à la destruction de l’homme et des droits du citoyen. Mais ce n’est pas de mes propres pensées que je veux vous entretenir : c’est le résultat de la discussion du comité, dont il faut vous rendre un compte.

(…) « il ne restait plus au comité qu’à régler les droits de successibilité des enfants légitimes ; mais, en consacrant un principe incontestable, nous avons estimé qu’il devait souffrir quelques modifications déterminées par l’état actuel de la société et par la transition subite d’une législation vicieuse à une législation meilleure.

Ainsi, lorsque le père ou la père seront décédés sans testament, l’enfant né hors le mariage aura une portion égale à celle des autres enfants co-partageants ; » (2)

J’admire le style et la modération et la profondeur de pensée !

Il propose au nom de cette commission un projet de loi à insérer dans le futur code :

Article 1er : « les enfants naturels actuellement existants, nés de père et mère non engagés dans les liens du mariage, seront admis aux successions de leurs père et mère, ouvertes depuis le 14 juillet 1789. »

Selon le site http://mapage.noos.fr/eprunaux/index.htm, ce premier projet ne sera pas voté en raison des oppositions des montagnards extrémistes dont Fabre d’Eglantines qui trouvent le projet trop juridique et pas assez « philosophique » et veulent l’institution d’une commission de six philosophes !

On sait que le Code Civil de Napoléon fut beaucoup plus restrictif. Il reprendra l’expression d’enfant « naturel » (et non « né hors du mariage. ») et il édictera

« article 756 : Les enfants naturels ne sont point héritiers ; la loi ne leur accorde de droits sur les biens de leur père ou mère décédés, que lorsqu’ils ont été légalement reconnus. Elle ne leur accorde aucun droit sur les biens des parents de leur père ou mère. »

On mesure ici la régression. Ils ne sont pas héritiers. Il ne sont pas les petits enfants de leurs grand parents. Et leur réserve, s’ils ont été reconnus et dans ce cas seulement, n’est que d’un tiers de celle des enfants « légitimes ».

« article 757 du Code Napoléon : « le droit de l’enfant naturel sur les biens des père et mère décédés, est réglé ainsi qu’il suit : Si le père ou la mère a laissé des descendants légitimes, ce droit est d’un tiers de la portion héréditaire que l’enfant naturel aurait eu s’il eut été légitime (…) »

Fabre d’Eglantines avec ses prises de position « philosophiques » avait bien travaillé, mais en fait de philosophie, il s’agissait plutôt de la « bêtise aux cornes de taureaux ». La réforme a ainsi attendu deux cent treize ans soit environ huit générations.

(1) http://mapage.noos.fr/eprunaux/fr/vie-poli/code-civ/cod-civi.htm

(2) Nouveau rapport sur les articles d’appendice titre IV du livre 1er, concernant les Enfants nés hors mariage, présenté au nom du comité de législation, par CAMBACERES, député de l’Hérault ; imprimé par ordre de la Convention Nationale. 1792

21.6.06

Sécurité sûreté, un point sur l'évolution sémantique

Sûreté, sécurité sur la disparition dans les grands textes du terme « sûreté » au profit de « sécurité » m'avait frappé sans que j'arrive à trouver la clé de cette énigme.

Le terme "sûreté" se trouve dans la déclaration des Droits de l’Homme de 1789, il ne se trouve plus dans les déclarations récentes « Déclaration Universelle de l’ONU » 10 décembre 1948, et la « Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales » du 4 novembre 1950, il a disparu au profit de « sécurité »

Pour attirer mon attention sur le glissement sémantique, Marie Rivet (http://www.rivet-translations.com/ ) m’a donné des liens vers des sites d’universités américaines qui donnent les éditions ancienne du Dictionnaire de l’Académie Française.

A consulter ce lien

http://colet.uchicago.edu/cgi-bin/dico1look.pl?strippedhw=s%FBret%E9

On découvre que le mot « sécurité » a remplacé le mot « sûreté » au cours du vingtième siècle.

Jusqu’en 1930 environ le mot « sûreté » est l’état de celui est éloigné de tout péril, état de celui qui n’a rien à craindre. C’est le sens actuel de notre mot « sécurité »

Jusqu’en 1930 environ également le mot « sécurité » est un sentiment, une tranquillité d’esprit qui fait croire qu’on est en « sûreté », que ce sentiment soit bien ou mal fondé. (exemple : « il dort en une sécurité incroyable, au milieu de ses ennemis »)

A partir, environ, de 1930 le mot "sûreté" disparaît des grands textes fondamentaux au profit de sécurité et prend le sens de « Tranquillité, absence de danger. Nos vaisseaux parcourent maintenant ces mers avec sécurité. L'industrie a besoin de sécurité. Nous ne sommes pas en sécurité ici. » (Dictionnaire de l’Académie de 1932) qui donne se sens « par extension ».

Le glissement sémantique se fait vers l'anglais probablement sour l'influence de Locke, un des grands théoriciens moderne des droits humains. Autrefois on traduisait "security" par "sûreté", aujourd'hui par "securité".

Conclusions : si vous trouvez le sens mot « sûreté » dans des textes anciens (Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, Code civil dans sa rédaction de 1804 dont il reste des articles, notamment dans l’article 3 al 1 « Art. 3 Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire. »), vous devez traduire en langage d’aujourd’hui par « sécurité ».

Une des dernières utilisation du mot de « sûreté » a été celle faite par le législateur lors de la création de la Cour de Sûreté de l’Etat. Instituée en 1963 par le Général de Gaulle cette juridiction sera supprimée le 4 août (O ! symbole) 1981.

« La Cour de sûreté de l'État est une juridiction d'exception qui a pour but de juger les personnes accusées de porter atteinte à la sécurité de l'État. » dit Wikipedia qui donne ainsi, involontairement, un exemple très parlant de l’évolution sémantique…

http://fr.wikipedia.org/wiki/Cour_de_s%C3%BBret%C3%A9_de_l'%C3%89tat

Mais qui a dit que la véritable sécurité, ne se trouve que dans l'amour que les êtres humains se portent entre eux ?

19.6.06

Dans la peau de Jacque Chirac

Parler d’histoire « people » est-ce bien sérieux ? Ben ouis c’est sérieux. C’est sérieux parce que ça nous rappelle que les grands de ce monde, ne sont que des hommes comme nous. Là où on attend du bronze on trouve souvent du papier, c’est le lot de toute l’humanité. Eux : c’est moi, c’est nous.


J'ai vu "dans la peau de Jacques Chirac", juste j’ai raté les dix premières minutes. Le film est composé de scènes télévisées et sélectionnées des années 1967 à 2005. Il ressort de l’ouvrage que c’est un brave garçon, plutôt inoffensif. C’est un brave garçon qui fait pitié. Lui semble un homme fragile, débonnaire, peu sérieux, timide, peu sûr de lui.

Bernadette le méprise et le déteste. Je vous décris une scène volée par la caméra. Ils ont tous les deux la soixantaine. Ils vont prendre l’avion. C'est lorsqu'il vont entrer dans un avion (ils sont dans un tunnel mobile), une marche fait trébucher Bernadette, ils se précipite galamment pour la rattraper, elle, qui n'est pas en danger se retourne et a l'air de dire avec un air de mépris et de colère : "Ah ! ne me touche pas ! Répugnant personnage" et lui a un sourire béat et gêné comme s’il n’avait rien vu et pas compris qu’elle ne l’aimait pas...


Ca fait de la peine pour lui. Mais je crois qu'elle sait qu'il n'est pas très fidèle. On dirait qu’elle a horreur de lui physiquement.

En revanche sa fille semble l'aimer, mais est un peu protectrice avec papa. A un moment se croyant à l’abri de l’œil de la caméra elle fait signe à papa : « boucle la ! » en se mettant l’index sur la bouche mais horizontalement, ce qui est encore plus expressif. « Boucle la papa ! »

A part ça il a l’air d’un grand dadais élevé durement : il est donc peu sûr de lui, pusillanime. « Parent n’agacez pas vos enfants de peur qu’il ne deviennent pusillanime », c’est à dire selon le Larousse « qui manque d’initiative, (…) qui a peur des responsabilités. » Il paraît que son papa était trop exigeant.

Lors des débats, il apparaît moralement écrasé par Mitterrand la seule personne qui le méprise ouvertement et l’humilie constamment. Alors que Marchais, trop brutal, Jospin trop copain, trop respectueux font jeu égal avec lui. Mitterrand n’en ressort pas grandi pour autant d’ailleurs car il apparaît pour ce qu’il était : inquiétant. Mais Jacques ne fait pas le poids face à cette bête féroce. Il est comme face à Bernadette : subjugué et répond avec un sourire de quelqu’un qui avale la couleuvre.

Vers la fin vous avez cette scène de la réunion du G7, où la photo officielle doit immortaliser George W. Bush et les autres. Tout le monde attend : Jacques sort difficilement de la sieste. Ils chantent « frère Jacques, frère Jacques, dormez-vous ? dormez vous ? » il s’agit des personnages les plus puissants du monde ! Jacques arrive, il prend place. Le photographe officiel va pouvoir opérer. Une fois il n’avait pas pris la parole dans un congrès RPR, parce qu’il faisait la sieste ! La sieste pour Jacques, c’est sacré !

Ca me rappelle aussi Sarkozy qui avait fait faux bon à des millions de téléspectateurs : prévu pour le vingt heures de TF1, il n’était pas venu parce qu’il venait de vivre une scène de rupture avec Cécilia et était nerveusement hors d’état de se présenter devant les caméras. Il m’était apparu qu’un homme capable de faire faux bon à des millions de personnes pour des motifs de nerfs abîmés ne pouvait pas briguer de très hautes responsabilités. Je me trompais, tout le monde a oublié l’anecdote de Poivre d’Arvor annonçant que Monsieur Sarkozy ne viendrait pas et qu’il venait de téléphoner à TF1.

On sort de là en voyant notre Jacques comme un grand frère : un produit de l’éducation bourgeoise de l’entre deux et de l’après guerre. Ne croyez pas que vous y trouverez des informations sur le fonctionnement des institutions sous Jacques Chirac, ou sur sa politique étrangère, non rien de tout cela.

Le film est prétendument politique, moi je l’ai trouvé terriblement people, beaucoup moins politique que le Farenheit 9 11 de Moore. C’est beaucoup plus une peinture de caractère de Chirac et de son entourage qu’une histoire politique. On peut arriver remonté à bloc contre Chirac et on en sort amusé par un personnage gentil, léger et comique.

16.6.06

Sujet de philosophie du baccalauréat

Sujets de philosophie du baccalauréat, je ne vais pas vous faire une dissertation en huit pages. Je vais faire des réponses express.

Peut-on juger objectivement de la valeur d'une culture : oui, dans la mesure où je pense que la famille humaine est unique. La nature humaine est commune, donc une culture homicide, une culture de mépris etc. n'a pas de valeur. Comme le disait, un administrateur anglais de l'Inde "Votre culture, votre coutume, c'est de brûler vive la veuve pendant l'enterrement du défunt, nous nous avons pour coutume de pendre ceux qui pratiquent cela..." Avec l'humour... Cela dit s'il faut juger s'il vaut mieux faire des choses libres ou de choix, on ne peut être objectif et l'on se doit à la plus grande compréhension, la plus grande tolérance.

L'expérience peut-elle démonter quelque chose ? Au sens strict de "démonstration", certes non puisque c'est un terme qui renvoie à un raisonnement, or l'expérience n'est par définition pas un raisonnement. En un sens plus relâché, l'expérience nous instruit, cependant elle ne nous démontre rien.

Reste le vaste sujet de la science expérimentale, ou du moins de sa méthode que le positivisme avait voulu prendre comme la seule méthode d'extension de la vérité. La science expérimentale ne démontre rien d'absolument certain et au fur et à mesure que l'objet de la science, sa matière se complexifie les paramètre sont si fluctuant que l'on arrive à aucune conclusion certaine.

La sociologie a beaucoup de peine à se sortir d'un discours déconnecté de la réalité. Elle semble surtout un exercice de style où les concepts mous se manient brillamment, mais vainement. En revanche les sciences surtout celles qui ont comme objet la matière sans vie, comme la physique peuvent arriver par cette méthode, de l'expérience mise en raisonnement, à d'excellent résultats. Mais même là, cette science n'empêche pas les dalles de béton de s'effondrer, les maisons de se fissurer... Non décidément l'expérience, même mise en théorie mathématique, ne démontre rien de certain. Et pourtant il serait vain d'affirmer qu'elle nous est d'aucun secours. Mais ce secours doit être envisagé comme un autre chose qu'une démonstration.

Je viens d'entendre un mot de Devos : "je me suis fais tout seul, d'ailleurs je me suis raté." Ce que je trouve délicieux. Il n'aimait pas le concept de "réussite" Raymond, comme je suis d'accord avec lui. Encore moins le concept de réussite individuelle, il avait l'expérience de sa vanité, lui qui avait profité de ses années de vache enragée et de solitude pour apprendre et finalement réussir...

14.6.06

Une nouvelle loi sur les successions.

Le droit de la famille est bouleversé depuis deux ans environ, le droit du divorce, le droit de la filiation (ordonnance applicable le 1er juillet 2006), et maintenant le droit des successions.

Une loi vient d’être votée définitivement par le Parlement et n’attend plus que la promulgation du chef de l’Etat.
Le texte de cette loi n’est pas disponible sur le site officiel du droit français, le site legifrance.

http://www.legifrance.gouv.fr/

Ce texte de loi ne sera pas applicable avant les décrets d’application du moins selon le garde de sceaux « Ce projet de loi constitue une avancée juridique formidable. Le décret d'application – je m’engage à ce qu’il soit publié dans les temps pour que le texte entre en vigueur dès le 1er janvier prochain – remplacera les dispositions obsolètes de l'ancien code de procédure civile toujours en vigueur, réorganisera la procédure de partage judiciaire et précisera les dispositions d'application des nouveaux instruments tels que l'acceptation à concurrence de l'actif net ou le mandat successoral. »

Le débat d'hier soir est consultable ici :

http://www.assembleenationale.com/12/cra/2005-2006/242.asp

J’ai glané dans le débat parlementaires les éléments suivants :

Mention du pacs sur l’acte de mariage des partenaires avec mention du nom de partenaire sur l’acte de l’autre. Jusqu'ici l'anonymat était préservé. Madame Comparini se demande si c'est une bonne idée ; on peut se poser la question, enfin on pouvait se la poser parce que la loi est adoptée.

En janvier le garde des sceaux avait déclaré : « La première attente concerne la détermination des héritiers. Aujourd'hui, seule la consultation du livret de famille permet de connaître les enfants du défunt. Or ce document peut avoir été égaré ou ne pas avoir été mis à jour. En définitive, les rédacteurs d'actes de notoriété s'en remettent souvent aux déclarations des requérants, avec les incertitudes qui en résultent. Afin de sécuriser la détermination des héritiers, le projet de loi prévoit la mention, en marge de l'acte de naissance du défunt, des enfants qu'il a déclarés ou reconnus. »

Cette mesure a été abandonnée sur un vote du Sénat : selon la Haute Assemblée, cette disposition était attentatoire à la vie privée. Le recel d’un héritier (par hypothèse handicapé par exemple ou né d’une précédente et éphémère union, restera donc une hypothèse plus fréquente).

Mesure inquiétante : il sera possible de faire renoncer un héritier à sa réserve, du vivant de l’ascendant, lorsque l’on connaît le huis clos glauque que peuvent constituer certaines familles on ne peut être qu’atterré par pareille disposition. Les pressions discrètes et improuvables mais violentes vont aller bon train. Il est bien évident que l’institution d’un deuxième notaire ne fera qu’alourdir les frais sans pour autant empêcher les pressions. Les souffres-douleurs n’auront que leurs yeux pour (continuer) à pleurer.

Mais Pascal Clément est aux anges.

« Avancée juridique formidable », il veut sans doute dire merveilleuse.

C’est le plus beau bébé du monde, : c’est le sien.

Moi je le trouve pas si extra que ça, comme d'habitude, les faibles les handicapés sont sacrifiés par certaines dispositions à la volonté du propriétaire, même si d'autres dispositions prevoient leur protection, mais seulement si le disposant l'a voulu. La loi ne protège plus par elle-même.

12.6.06

Le jugement des juges : l'affaire Burgaud

L’affaire Burgaud du nom du magistrat qui va être traduit devant le Conseil Supérieur de la Magistrature agite le monde médiatique et la France.


On trouvera ci-dessous le lien vers la dépêche retranscrite par Yahoo sur cette épineuse question.


http://fr.news.yahoo.com/12062006/290/controverse-sur-les-poursuites-contre-le-juge-fabrice-burgaud.html


Ses collègues du Union Syndicale de la Magistrature (moins à gauche que le Syndicat de la Magistrature) pensent que l’on a choisi la méthode du « bouc émissaire » en poursuivant Monsieur Burgaud et son collègue le Procureur Lesigne.


S’il s’agit de boucs émissaires, ils portent tous les péchés des magistrats, alors. Dans le fond, ce n’est pas entièrement faux puisque plusieurs dizaines de magistrats se sont penchés sur cette affaire où un prêtre et une militante catholique avaient été mis en prison, avec délectation (« il faudra qu’elle aille mettre plusieurs cierges, si elle veut s’en sortir » avait ironisé l’un d’entre eux) Elle avait dû les mettre les cierges, car elle s’en est sortie, mais eux qui se croyaient à l’abri…


Lévitique ch. XIX


« 12 Vous ne jurerez point par mon nom, en mentant, car tu profanerais le nom de ton Dieu. Je suis Yahweh. (…)
15 Vous ne commettrez pas d'injustice dans le jugement : tu n'auras pas de faveur pour le pauvre, et tu n'auras pas de complaisance pour le puissant ; mais tu jugeras ton prochain selon la justice.
16 Tu n'iras pas semant la diffamation parmi ton peuple. (…) »


Bible, traduction Crampon du site jesumarie.com


Il semble bien que Dieu lui-même commande une certaine morale aux juges, il leur demande
l’égalité dans le traitement des hommes.


Il faudra qu’il y ait un jour un jugement des juges. Dans l’autre monde, cela ne nous regarde pas, mais ici-bas : doit-on juger les juges ? Ce n'est pas évident. Sinon on arrive au procès du procès et comme cela à l'infini.


En raison du principe d’égalité des être humains, il est bien évident qu’à un certain moment, le contentieux doit s’arrêter, le juge dit le droit, il tranche, bien ou mal un litige, mais on ne peut concevoir d’éternels contentieux contre les juges. Sinon la fonction du juge qui est surtout de mettre fin aux conflits, le plus justement possible, devient impossible à exercer.


C’est à peu près ce qu’explique l’article L781-1 du Code de l’Organisation Judiciaire.

« L'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.
La responsabilité des juges, à raison de leur faute personnelle, est régie par le statut de la magistrature en ce qui concerne les magistrats du corps judiciaire (…).
L'Etat garantit les victimes des dommages causés par les fautes personnelles des juges et autres magistrats, sauf son recours contre ces derniers.
Toutefois, les règles de l'article 505 du Code de procédure civile [relatif à la prise à partie] continuent à recevoir application jusqu'à l'entrée en vigueur des dispositions législatives concernant la responsabilité des magistrats à raison de leur faute personnelle. »

L’article 505 du Code de procédure civile est celui qui traite de la « prise à partie » du juge. La partie déçue prend le juge comme partie d’un nouveau procès contre le juge. En pratique, il y faut une faute lourde de malhonnêteté ou de négligence délibérée (déni de justice, c’est-à-dire refus de rendre la justice, "s'en laver les mains")

Cette prise à partie est pratiquement impossible

Article 510 du Code de Procédure Civile :

« Néanmoins, aucun magistrat ne pourra être pris à partie sans une autorisation préalable du premier président, qui statuera après avoir pris l'avis du procureur général.
En cas de refus qui sera motivé, la partie plaignante pourra saisir la chambre civile de la Cour de cassation ; elle sera dispensée du ministère d'un avocat. Si elle succombe, elle sera condamnée au paiement de l'amende prévue à l'article 29 de la loi nº 47-1366 du 23 juillet 1947. »

Dans l’affaire d’Outreau, les victimes qui ont été indemnisées ne se sont pas pourvues selon la procédure de la prise à partie, alors qu’il y aurait eu matière, sauf que s'agissant de juridiction pénale, cela ne semble pas possible.

De plus, lorsqu’on voit comment réagissent les magistrats, le tollé que suscite chez eux la décision du garde des sceaux de déférer Monsieur Burgaud devant le Conseil Supérieur de la Magistrature, on ne voit pas le premier président d’une cour d’appel autoriser un avocat à poursuivre, puis en cas de refus, se pourvoir devant la Cour de Cassation, au risque de voir condamné son client, en plus de tous les malheurs qu’il aura subi.

Donc, en pratique aujourd’hui les victimes d’erreurs judiciaires (du moins les victimes pénales qui ont été emprisonnées) sont indemnisées et puis on en reste-là. Les magistrats continuent leurs carrières.

Faut-il instaurer une responsabilité pécuniaire réelle des magistrats et donc supprimer la « prise à partie » en la remplaçant par une procédure plus réaliste ?

En instaurant la responsabilité des magistrats on instaurerait pour eux une obligation de s’assurer, mais seules les fautes du genre d’inattentions, de négligences légères, d’ignorances pas trop coupable, pourront être assurées. Il est impossible de s’assurer contre les suites d’une faute crapuleuse.

Certes la morgue, l’outrecuidance, voire la violence de certains magistrats (d’autres sont urbains…) excite à la colère. J’ai moi-même été mis à la porte à plus cinquante ans, d’une salle d’audience, dans une affaire où les débats sont oraux car le juge hurlait que je n’y entendais rien, et il n’a pas voulu m’écouter… Tout le monde était terrorisé. Naturellement l’adversaire a eu le plein de sa demande.

Encore si la morgue était à la mesure de leur compétence, de leur intelligence on comprendrait, ce n’est malheureusement pas le cas. Les plus violents ne sont pas les plus intelligents.


Bref, le métier de magistrat est un métier dangereux, où l’on se dévoue pour le bien commun parfois au risque de sa vie. C’est pourquoi, les magistrats ont droit à notre respect et à notre reconnaissance et à notre indulgence. Mais il ne faut pas en abuser, de ce droit.


Une responsabilité pécuniaire modérée dans les cas les plus graves (avec indemnisation par l’Etat, mais avec franchise par exemple) ne serait pas inenvisageable.


Mais surtout, surtout comme le disait, si mes souvenirs sont bons, Maître Dupont-Moretti lors de sa déposition devant la commission parlementaire, il faudrait un changement de mentalité. Donc un changement dans la formation, car ce qui compte ce ne sont pas les institutions, ce sont les hommes, leurs morales, leurs consciences, leurs formations intellectuelles et morales.


Et en matière de formation morale, je vois surtout la formation à l’idée que tous les hommes sont égaux, fondamentalement égaux, que l’on doit respecter la dignité de chacun et de tous. Ces idées banales n’entrent pas dans les références intellectuelles de trop nombreux magistrats, ou plutôt, ils les confessent en théorie et les oublient au profit de l’idée qu’ils ont la science et qu’ils ont une mission idéologique à imposer à leurs frères inférieurs.


Un juge qui aura écouté, qui aura respecté son interlocuteur, qui aura cherché la vérité sans préjugé, on lui pardonnera une erreur d’appréciation, laquelle sera d’ailleurs beaucoup moins fréquente, il ne sera alors plus question de jugement des juges.


Cela me rappelle le Président Fayolle, un magistrat scrupuleux et urbain qui disait à l’issue de sa carrière, qu’il pensait que la Cour d’Assises qu’il présidait n’avait jamais condamné d’innocent. Il est vrai que les débats avec lui étaient très sereins. Il laissait tout le monde s’exprimer et parlait avec douceur, même à ceux qui étaient soupçonnés des pires crimes. Il avait parfaitement intégré le principe de l’égalité de tous les être humains.

11.6.06

Pour Marie : histoire de mer et de pigeon

Marie me demande dans une de ses posts-commentaires sur mon blog pourquoi ce long silence. Elle a souvent la gentillesse de me lire et de s’intéresser à ce que j’écris, je lui dois donc une réponse.

La réponse, c’est que pendant plusieurs jours, j’ai été invité sur un voilier pour une traversée depuis la Bretagne (la presqu’île de Quiberon), jusqu’en Espagne (Vigo, la Galice)

Pour moi, c’était le baptême de l’océan, au moins pour la pleine mer. La Méditerranée, je connais un peu, je suis allé en bateau au Maroc (j’avais deux ans et j’ai failli me noyer dans le bac de lavage du pont, le matelot m’a tiré de là par la taille) ; ensuite dans les années 70 j’ai été invité à faire le tour de la Corse, la merveilleuse, l’incomparable « Île de Beauté » (1). Mais l’océan, je ne connaissais pas.

La première différence entre l’océan et la Méditerranée, c’est que l’océan est terriblement FROID. Nous étions dans la dernière semaine de mai et la première de juin, juste pour le week-end de la Pentecôte, nous allions vers l’Espagne, plus au sud que Marseille, exactement à la latitude de la Corse (quarante-deuxième parallèle) et pourtant nous avions froid. Un froid puissant qui n'a rien à voir avec le froid de la montagne qui est un froid léger, un froid qui disparaît au soleil, sur l’océan, c’est un froid à la mesure du paysage : il vous fait comprendre que vous n’êtes pas grand chose et qu’il pourrait facilement vous maîtriser si vous vous amusiez à ne pas tenir compte de lui.

La deuxième caractéristique, c’est que lorsque vous êtes sur l’océan, vous êtes seuls, beaucoup plus seul que sur la Méditerranée. Les vagues sont plus grandes, la houle est plus creusée, le bleu de la mer, plus intense, presque noir. L’isolement est beaucoup plus marqué. La vie, que vous soupçonnez intense dans l’abîme, ne se montre que de loin ; rarement des dauphins sautent-ils de l’eau, pour s’amuser et vous faire un petit signe.

Aussi lorsque notre skipper à environ quatre cents kilomètres des côtes (deux-cent milles marins) voit un pigeon se poser sur le bateau, il lui fait immédiatement la fête. Car des oiseaux de mers, des fous de bassans et d’autres dont je n’ai pas retenu le nom, on en voit. Mais où dorment-ils ? Vincent notre skipper qui a réponse à tout, « Ils dorment en volant ! » Quelles drôles de créatures, dormir en volant, mais peut-on se reposer en volant ? Hé oui ! Ils ne viennent à terre que deux ou trois mois pendant l’année pour se reproduire, car les amours et les poussins, ça a besoin de la terre. Mais, pour le reste du temps, mâles et femelles vivent chacun de leurs côtés, en l’air et ne plongent que pour pêcher. Ce n’est pas le cas du pigeon qui dort sur la terre et mange du blé et boit de l’eau douce.

Notre pigeon donc est un extra-terrestre sur la mer.

Il a l’air d’un vieux mâle, un peu bourru, engoncé dans ses plumes. Ouf ! Ces humains m’ont sauvé la vie ! Que lui est-il arrivé, s’est-il détaché du vol, pour s’amuser et montrer que les vieux mâles n’ont besoin de personne ? Faire le malin a un prix, et ce prix il allait le payer cher, très cher notre pigeon. Mais la Providence a eu pitié de lui pour cette fois.

Comme on le voit transis de froid, affamé et assoiffé (avoir tant d’eau sous ses ailes et ne pouvoir boire ! Car Bombard disait une bêtise en conseillant de boire l’eau de mer, l’eau de mer à boire, c’est la mort ! Il vaut mieux ne rien boire). Donc quand il arrive à bord, il est un peu intimidé (avec les humains, on ne sait jamais), mais il n’est pas question de le laisser dans le cockpit qui est l’habitacle en plein air. Il fait trop froid. On le met donc dans la cabine commune et c’est là que je fais sa connaissance, car moi, vu le temps j’ai un mal de mer comme n’en avait pas l’amiral Nelson lui-même. Sur ma couchette, j’essaie de garder dans mon estomac le peu d’eau que j’ingurgite. Lui, le mal de mer, il ne connaît pas, alors il me regarde d’un air goguenard. Il essaie de se trouver un petit coin tranquille, bien au chaud. Ouais ! Une niche sous l’échelle de montée au cockpit. Il est vide ce trou prévu sans doute pour des fils électriques. On se dirait à terre dans un trou de rocher sur une falaise. Un vrai trou pour pigeon, juste : ni trop grand pour ne pas perdre la chaleur, ni trop petit pour le confort.

Il est bien, là, dans sa niche improvisée. Une fois installé, il s’agit maintenant de boire et de manger. Vincent lui prépare de quoi se restaurer, juste à côté de l’évier. Un vrai festin ! Bien, bien, la timidité évanouie, notre pigeon sort de son petit chez lui et se met à picorer et à boire de l’eau douce, à boire et à picorer des miettes de pains et tout ce qu’on lui réserve. Le problème, c’est que quand on a bien bu, il faut évacuer et là, c’est le problème, mais nos humains n’ont rien prévu. Un tas de torchons propres fera magnifiquement l’affaire, ça absorbe tout, où est le problème ? (2)

Dans le bateau, comme ça dure deux jours encore pour l’Espagne, notre pigeon s’ennuie, alors il visite. Les couchettes, les cabines les habits des humains quelles curiosités, ça distrait. Là, Vincent se fâche ! Non mais, où est-ce que tu as été élevé ? On doit respecter les affaires des autres. Allez ouste ! On ferme les portes des cabines ; non mais ! Bon, bon Vincent ne te fâche pas, moi c’était juste pour me distraire. Je retourne à mon petit chez moi.

Après une tempête force onze en rafale (ce qui est exceptionnel) on arrive en Espagne. La côte est là en vue, c’est-à-dire à dix km environ du bateau. Lui il la regarde, avec envie, mais instruit par l’expérience, il préfère la prudence. Mon petit chez moi, chez les hommes vaut mieux qu’une volée de dix kilomètres. Nous autres humains du bateau on est bien content de t’avoir. Notre marin professionnel nous dit, on recueille tout ce qui vit en mer, car si on rejette ce qui vit, cela porte malheur. Foin de la superstition, Vincent, nous on garde le pigeon parce qu’on l’aime.

La côte de la Corogne et de la Galice est dentelée comme une coiffe de Bretonne. On passe donc les caps les uns après les autres. Lorsqu’on pénètre enfin dans l’estuaire de Vigo, la mer est calme, le beau soleil d’Espagne nous réchauffe doucement. La côte est à trois cents mètres de chaque côté. L’air est exceptionnellement pur, le bleu du ciel est beaucoup plus bleu que celui de Marseille. Allez, mon vieux, c’est le moment de retourner à la terre ferme qui n’est plus qu’à quelques centaines de mètres. Encore un petit coup d’eau douce, une dernière picorée, et hop ! Je retrouve mes éléments : l’air et la terre.

Il monte haut notre pigeon, il va vers le sud. Vincent lui crie « Alors, malappris, on ne dit même pas merci. » Il entend ça notre pigeon, alors là, lui, un malappris ! Mais sa maman, lui a enseigné les bonnes manières ; mais non, voyons, allons, c’était seulement un moment de griserie de retrouver l’air après trois jours enfermés. A la voix de Vincent, il retourne sur ces ailes, et à trente mètres au dessus du bateau, il fait trois ronds dans l’azur du ciel : « Merci, merci les amis » nous dit-il. « Bonne chance ! » - « Bonne chance, pigeon ! » « Ciao, ciao les amis ! »

(1) Lors de ces vacances en bateau, j’ai vu l’archipel des Lavezzi où sont enterrés les marins et soldats de « La Sémillante ». Vous trouverez le récit du naufrage de « La Sémillante » dans « Les Lettres de mon Moulin » d’Alphonse Daudet. Je vous assure que le récit de auteur est construit sur une réalité. Je vous raconterais cela une autre fois si possible.

(2) Le problème n’était pas bien grave, seulement une pile de torchons bien propres et bien repassés, qu’il a fallu donner à une laverie de Vigo. Ce qui a étonné la sympathique lavandière espagnole.